Retour sur le mot "consentement"

Retour sur le mot "consentement" ©Getty - WIN-Initiative/Neleman
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C'est une bonne chose qu'une femme ait enfin son mot à dire sur l'opportunité d'un rapport sexuel. Or le consentement n'existe pas dans le Code pénal pour qualifier un viol. La loi se concentre sur les actes de l'agresseur : a-t-il agit par violence, contrainte, menace, surprise ?

Un mot qui squatte nos lèvres et nos pensées depuis des semaines. Depuis des mois, chaque fois qu'il est question de violences sexuelles, cela peut paraître une bonne chose l'idée qu'une femme ait enfin son mot à dire sur l'opportunité d'un rapport sexuel. On commence à comprendre, grâce à Metoo notamment, que si elle ne veut pas, mais que le rapport a quand même lieu, alors il y a crime. Alors il y a viol. C'est bien, on avance. Sauf qu'on se trompe.

Le consentement n'existe pas dans le Code pénal pour qualifier un viol

La loi se concentre sur les actes de l'agresseur, a-t-il agit par violence, contrainte, menace, surprise ? Poser la question du consentement, c'est braquer le regard sur la victime. À elle de prouver qu'elle ne voulait pas. 

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Difficile, voire impossible, dans la culture qui est la nôtre. Culture fondée, entre autres, sur la mise à disposition du corps des femmes, la sexualité pulsionnelle des hommes et l'histoire de toutes ces martyres devenues saintes parce qu'elles ont préféré mourir que d'abdiquer de leurs vertus. 

Aujourd'hui encore, une bonne victime est une victime morte parce qu'alors seulement, on voudra bien croire qu'elle ne voulait pas. Dans tous les autres cas, on se dira que si elle a dit non, elle ne l'a pas dit assez fort, assez clairement, assez souvent, il avait une arme. Peut-être, mais en a-t-il fait usage?  Il avait seulement ces points. OK, mais où sont les Bleus ? Les bosses, les traces ? De toutes les façons, une victime, n'aura jamais assez dit non. 

La preuve encore avec cette affaire qui a conduit Julie et sa famille jusqu'à la Cour de cassation

Une affaire qui commence en 2008. On est en région parisienne. Mère, instit, père, avocat, famille tranquille. Le dimanche, on regarde Disney à la télé. Jamais on ne parle de sexualité. Julie est toute jeune, elle a 13 ans. C'est une sensible, une grande sensible, comme le sont ces enfants un peu trop doués en classe, jamais très populaires, pas assez cools non plus. Alors très solitaire. 

Julie aime apprendre. Mais l'école, ça l'angoisse. À la quatrième crise de spasmophilie, l'école appelle les pompiers. L'un d'eux monte à l'arrière avec elle. Il prend son numéro et file le numéro à ses copains en uniforme. Il trouve ça très rigolo de bombarder la petite de textos avec des vidéos pornos. C'est un message. Puis deux, puis 100 tous les jours pendant près d'un an. Ça s'appelle du cyber harcèlement. Parce qu'ils menacent, ils insultent, font les gros bras, la font chanter. "Tais-toi !" Mais ça ne va pas. Ce sont des pompiers. Jamais personne ne te croira.

Julie a peur. Julie se tait. Julie se ferme. Julie se fait mal

Bientôt les scarifications. Bientôt les crises de tétanie. "Phobie sociale", disent les psys. Alors, Julie arrête l'école. Et comme ça, le piège se referme et là, l'emprise peut se tisser. Les pompiers, ceux qui la harcèlent, sont ceux aussi qui la secourent chaque fois qu'elle sombre ou qu'elle dévisse. Une main tendue. Un uniforme. Ils ont le prestige de la mission. Ils ont l'aura et ils l'auront.

Julie veut faire un stage chez eux. Venir en aide. Devenir comme eux. Tiens, je vais en parler à ta mère, suggère l'un d'eux. Le tout premier, la mère dit "Venez prendre un café". Elle a confiance, c'est des pompiers. Et puis, ça fait tellement longtemps que Julie n'a pas eu de projets. Le pompier vient à la maison. La mère part promener les chiens. L'occasion était bien trop belle pour le pompier qui viole Julie. C'est le premier d'une longue série. 

Julie s'enfonce. Julie perd pied. Un jour, elle tente de se pendre.

On la bourre de médicaments. Julie perd pied. Elle perd la tête. Les pompiers le savent, évidemment, car qui l'emmène à l'hôpital ? La mère s'affole, ne comprend rien et sa fille ne dit toujours rien. Les semaines passent, puis les mois, ça peut durer longtemps comme ça. 

Et puis un jour. Nouvelle équipe, nouveaux médecins, nouvelles pratiques

Trois semaines sans un médicament, c'est une fenêtre thérapeutique. Julie retrouve ses esprits. Alors, elle parle et elle dit tout. 

Les noms, les lieux, les dates, l'endroit, les pompiers et tous les viols. Plusieurs dizaines en une année, en réunion, mais parfois pas. 

La mère porte plainte. Viols aggravés, parties civiles. Et c'est parti pour neuf ans d'instruction. Enfin, le dossier est bouclé. Trois pompiers mis en examen. Trois sur 20, mais pas pour viol, non quand même pas, atteintes sexuelles. On préfère ça. C'est un délit et un crime. Il y a bien eu des rapports sexuels avec mineur de moins de 15 ans. 

Oui, mais il y a eu ce consentement. 

Julie voulait, Julie cherchait. Les pompiers le disent, la justice suit et c'est écrit. Jugement en appel, je cite "le succès habituel des pompiers auprès de la gent féminine ne les a pas incités à la réflexion". 

La semaine prochaine, la Cour de cassation va de nouveau devoir trancher

Julie voulait ou voulait pas attendre. Allez-vous la refaire ? Vingt pompiers âgés de 21 à 25 ans face, ou plutôt sur, une gamine de 13, 14 et 15 ans, gamine, shootée aux médicaments. Il y a-t-il eu, oui ou non, rapport sexuel ? C'est ça la question. Et la réponse est oui. Même les pompiers l'ont admis.

L'équipe

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