Un auditeur a écrit à la médiatrice des antennes à propos des choix de l’émission l’Esprit Public. Message auquel Sandrine Treiner, directrice de France Culture a répondu. A lire ci-dessous :

Bonjour, 

Il y a une quinzaine de jours, j’ai adressé à l’émission L’Esprit public le message ci-dessous : 

« Bonjour,  Le casting des invités de votre émission pose un très sérieux problème, d’autant que la tendance semble s’accentuer d’une semaine sur l’autre ! En effet, pour aller vite, les quatre invités de votre dernière livraison sont tous du même bord politique, au sens où ils se reconnaîtraient tous dans l’étiquette de « libéral », au sens politique, voire au sens économique… La qualité du plateau n’est pas en cause – mais on peut dire la même chose de l’ensemble des émissions de débat que propose France-Culture.   Trois des quatre derniers intervenants peuvent être, à l’allemande, qualifiés de socio-démocrates (centre gauche, encore que le terme « gauche » puisse lui-même être interrogé… – A. Filipetti, H. Védrine, S. Kauffmann) ; le quatrième, D. Reynié, incarne la droite. Il n’est d’ailleurs pas précisé, contrairement aux deux autres politiques, que D. Reynié a été engagé en politique chez LR, ce qui pose un autre problème.  On imagine bien votre ligne de défense, face à une telle critique du choix de vos intervenants : ce sont des « experts » ; ils ont été « aux affaires » pour certains, donc, sur le même plateau que des journalistes censés amener l’abord critique des sujets abordés, ils représentent la caution de l’expérience du terrain en politique ; et sans doute le plus important : leur position au centre de l’échiquier politique à le double avantage de garantir un débat serein et donc constructif (pas « taisez-vous Elkabbach !») et d’éviter de prendre le risque de contribuer à la banalisation d’idées « extrémistes ».    

Il ne vous aura sans doute pas échappé que si l’on additionne les intentions de vote pour les « extrémistes » à la prochaine présidentielle (peu importe la marge d’erreur, en l’occurrence), on avoisine, pour un cumul RN-LFI, les 60% ! Vos choix d’intervenants, très orientés, posent (au moins) deux problèmes. Le premier consiste dans votre refus de prendre en compte l’ensemble du paysage politique français, ce qui constitue une atteinte évidente à la démocratie, et l’on peut s’étonner que vos autorités de tutelle (CSA ?) ne vous rappellent pas à l’ordre sur ce point. Le deuxième problème consiste à croire que votre positionnement et vos pratiques sélectives contribuent à tout le moins à protéger le pays contre ce que vous estimez être des orientations antidémocratiques (extrême droite, gauche radicale…). Pas de danger de prise de pouvoir par la gauche radicale, vous pouvez dormir tranquille. Par contre, au regard de ce que vous connaissez très bien, touchant au discrédit croissant dont est victime la presse au sein de l’opinion, vos choix très sélectifs ne font que renforcer l’opinion selon laquelle les tendances politiques écartées de vos débats, portant la voie des « vrais gens », sont injustement traitées au profit de ce qui a été appelé en son temps « l’UMPS ». 

Et malheureusement, cette opinion est fondée ! Peu importe ce que je pense personnellement des positions politiques de tel ou tel parti dont les idées sont ou bien tues, ou bien dénigrées dans vos émissions. J’aimerais simplement que vous répondiez à deux questions : 1. Avez-vous seulement conscience de l’ostracisme que vos choix manifestent ? Et si oui, comment le justifiez-vous ? 2. Avez-vous réfléchi au caractère contre-productif de la censure que vous exercez ?  Merci de bien vouloir m’apporter des réponses.  Bien cordialement. »  Ce message, sauf erreur de ma part, est resté sans réponse. Première question : à quoi cela sert-il dans ce cas d’afficher sur la page de l’émission une adresse pour lui adresser un message ? Mon message n’étant ni insultant ni agressif, la moindre des choses est d’accuser réception.  Ecoutant régulièrement cette émission, j’ajoute ceci : l’émission de ce jour (dimanche 21 mars), sous couvert de faire parler des experts (en principe les plus neutres possible), s’est conclue sur ces deux recommandations : le journaliste du Monde a préconisé pour l’avenir, afin de mieux répondre aux effets des catastrophes à venir, davantage de partenariats public-privé (or, nombreux sont ceux qui pensent, à tort ou à raison, que cela revient comme toujours à s’appuyer sur des investissements publics pour une maximisation des gains privés…). C. Ockrent, quant à elle, a carrément appelé à « renouer avec la culture du risque ». Ces deux interventions étaient clairement des propos politiques partisans – ce dont se défendraient bien sûr les intéressés – s’inscrivant dans le champ du néolibéralisme.  Cette dernière remarque vient en complément du contenu de mon message à l’émission et illustre à mon sens jusqu’à une accentuation de la tendance « centre-droitiste » adoptée par cette émission.  Quand on écoute Réplique ou Signes des temps, au moins, on sait clairement à qui on a affaire… 

Ce que j’écris ci-dessus n’entame en rien le plaisir que j’ai chaque jour à me brancher sur votre antenne ! 

Je vous remercie par avance de votre réponse.  Bien cordialement. 

Réponse de Sandrine Treiner :

Cher Monsieur,

Je vous remercie de votre courriel, intéressant et argumenté, dans lequel du reste vous répondez de vous-même pour une grande part – et de bonne manière, je le précise – à la question générale que vous soulevez. Oui, nous tenons à ce que Thierry Pech, un de nos intervenants réguliers, nomme « le débat démilitarisé ». Il se pare – le débat – de suffisamment d’armes ailleurs et je sais depuis longtemps que nos auditeurs aiment venir trouver, sur France Culture, un certain état d’esprit et de discussions qui nous caractérise.

Néanmoins, vous avez raison, cette seule réponse serait insuffisante et je vais donc reprendre vos deux questions et y répondre de manière générale – je pourrais nommer tel ou tel à l’appui de mes arguments, mais précisément je ne crois pas que l’ensemble de nos débatteurs ait envie d’être défini de la sorte :

Le CSA ne nous rappelle pas à l’ordre pour l’excellente raison que l’ordre que vous mentionnez n’existe pas. Aucune instance et c’est heureux car ce serait impossible et dangereux n’évalue le débat d’idées, le débat intellectuel. Le CSA comptabilise le temps de parole politique et veille à cet équilibre, auquel nous sommes tous soumis eu égard à l’exigence d’équité entre les différentes formations politiques et leur représentation nationale. Fort plaisamment, un intellectuel dit « de droite » peut avoir sur tel ou tel sujet une opinion dite « de gauche » et sinon … autant fermer boutique, si vous me passez l’expression.

L’équilibre des opinions générales auquel nous ne sommes pas soumis en droit donc, mais auquel nous veillons de manière tout à fait attentive pour des raisons évidentes de pluralisme des idées, c’est autre chose. Il ne s’équilibre pas au sein de chaque émission, heure par heure : ça n’aurait aucun sens et représenterait une contrainte de programmation insoutenable. il se conçoit nécessairement au fil des programmes, au gré des personnalités de nos personnalités d’antenne. Je crois à cet égard pouvoir montrer que France Culture est le lieu d’une grande palette de sensibilités et de programmations.

La censure ? Nous n’en exerçons aucune. Sur ce point, je serai simple.

Je ne vous dirai pas que nous ne pourrions pas progresser encore en matière de pluralisme des idées. Je le pense moi-même : on doit toujours viser à s’ouvrir davantage, à écouter et à faire entendre la société qu’elle nous plaise ou pas, dans le respect de la loi et des valeurs de service public qui nous animent par vocation.

J’attire votre attention toutefois et pour finir provisoirement cet échange sur le fait que contrairement à ce que l’on a trop souvent tendance à considérer, les auditeurs, les gens donc, savent penser par eux-mêmes. Ils écoutent l’antenne, nous tâchons de leur apporter du grain à moudre, de nourrir leur réflexion mais nous ne leur disons pas quoi penser. Ils se font leur opinion. Nous sommes écoutés par des personnes aux opinions politiques diverses, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite : ce n’est pas la composition d’un plateau d’émissions qui va les amener, parce qu’ils entendraient telle ou telle opinion – à changer de point de vue. Je fais confiance à ceux qui nous écoutent : ils ont leur libre arbitre. C’est pourquoi je ne crois pas que les discussions de l’Esprit public soient contre-productives.

Je ne sais pas si cette réponse vous satisfera. Elle vous éclairera peut-être sur notre manière de penser ce sujet très important que vous soulevez.

Vous continuerez, je l’espère, à nous écouter.

Bien cordialement

Sandrine Treiner

Réponse de l’auditeur à la suite de la réponse envoyée :

Chère Madame,

Je vous remercie d’avoir pris le temps de me répondre, en tant que directrice de l’antenne.

Juste un petit mot pour ne pas abuser de ce temps précieux : pour répondre à votre interrogation, vos éléments de réponse me satisfont globalement même si, et comment pourrait-il en être autrement compte tenu de la complexité des questions soulevées, je demeure perplexe quant à l’exercice du libre arbitre des auditeurs, même ceux censément (plus) éclairés de France-Culture. Cela renvoie aussi à la question du consentement, et je suis très influencé sur ce point par les thèses de B. Stiegler – pour préciser « d’où » je parle…

Soyez sûre en tout cas qu’un auditeur qui n’a plus lâché France-Culture depuis qu’il l’a découverte il y a 40 ans et qui l’écoute cinq à six heures par jour, n’est pas près de décrocher !

Félicitations à vous et à l’ensemble de vos équipes.

Bien cordialement.