Emmanuelle Daviet : Dans une vidéo publiée récemment le géopolitologue Pascal Boniface indique qu’il est victime, je le cite « d’une mise à l’index », d’une « campagne contre lui pour l’empêcher d’être présent dans certains médias », sur France Culture notamment.
Des auditeurs s’interrogent, ils nous ont écrit pour savoir si le directeur de l’IRIS était vraiment sur une liste noire…
Que peut-on leur répondre Sandrine Treiner ?

Sandrine Treiner : Le procédé employé par Monsieur Pascal Boniface est très singulier. Alors qu’il est invité sur tant d’antennes, il semble considérer que ce n’est pas assez. Il se répand sur YouTube, mais aussi sur son blog sur Médiapart, sur Twitter, sur le fait qu’il ne serait jamais invité sur  l’antenne de France Culture et que nos producteurs précaires ne l’inviteraient pas pour ne pas prendre le risque de se fâcher avec leur direction. C’est donc grave. Il parle, je cite,  de « liste noire » et même de « censure ».
Je voudrais commencer par dire que je suis très étonnée par ces attaques violentes ad hominem, sur les réseaux sociaux, venue d’une personnalité que ses responsabilités devraient obliger. Ce sont des pratiques que je conteste et que j’interroge, mais on y reviendra. 
Je  réponds à nos auditeurs. C’est très simple : il n’y a jamais eu de consignes de ne pas l’inviter. Et puis, j’ajoute qu’il n’y a pas non plus d’obligation à le faire. 
Pour être précise, j’ai demandé à mon équipe une petite recherche : il a été davantage, bien davantage, invité depuis que je suis directrice qu’avant. Les faits sont têtus. Voici les chiffres : 5 invitations entre 2011 et 2014. J’ai été nommée en 2015. Près d’une vingtaine d’invitations depuis, dont six en 2019 et notamment dans Les Matins. Les dernières fois au journal de 12h30 sur le G7, aux Matins sur la guerre de yuan, ou aux Enjeux Internationaux sur l’enseignement de la géopolitique. Son assertion est donc tout simplement mensongère. 
J’ai retrouvé dans mes mails des correspondances que j’ai eues sur le sujet avec lui, qui s’inquiète très régulièrement de sa visibilité dans les médias.
Un échange en 2017, par exemple, où je lui répondais très aimablement et il m’écrit le 17 mai : « Je sais parfaitement que vous n’intervenez pas dans les choix. ».
Le 16 novembre 2020 ,c’est récent, il m’écrit encore, me félicite que les experts de l’IRIS soient souvent reçus à l’antenne et s’ouvre de son propre sort en écrivant : « Je sais que ce n’est pas de votre décision que vous favoriser la diversité des opinions ». Alors oui, d’excellents chercheurs de l’IRIS sont régulièrement invités sur notre antenne et nous avons du reste un partenariat aux Enjeux Internationaux avec le trimestriel de l’IRIS dont Pascal Boniface est le directeur.
Dans son ultime prise de position, Monsieur Boniface s’interroge: « Est-il normal que sur le service public, une telle liste noire existe ? », prétendant ainsi qu’elle existe. Il jette le trouble sur tout le service public. C’est grave. Tout ça n’est vraiment pas sérieux et jette un drôle de trouble sur le chercheur lui-même.
Je voudrais quand même articuler une question à mon tour, parce que je voudrais préciser que les livres qu’il a écrits et qu’il cite comme explication de l’éloignement de l’antenne de France Culture, dont je serais responsable, datent de 2003, pour « Est-il permis de critiquer Israël ? » et de 2012 pour « Les Intellectuels faussaires : Le triomphe médiatique des experts en mensonge », livre que je n’ai malheureusement pas encore lu. Son livre suivant d’ailleurs, a été co-écrit avec Hubert Védrine, qui est un des intervenants réguliers, comme vous le savez, de l’Esprit Public.
Alors, une question : que sous-entend Monsieur Boniface (NDLR) quand il affirme qu’il serait rédhibitoire pour lui de prendre des positions critiques sur le gouvernement israélien ou sur des personnages médiatiques importants ? Quel est le rapport entre le journal Le Monde, ma consœur de France Inter, Laurence Bloch, moi-même et les positions de Pascal Boniface sur Israël ? Sans commentaire. Il va de soi qu’on ne répond pas aux injures et aux assertions mensongères sur les réseaux sociaux et que je ne le ferai pas. N’en déplaise à Pascal Boniface, qui aimerait probablement entretenir ainsi son activité numérique. Ce sera sans moi.

Emmanuelle Daviet : Merci pour cette réponse. Effectivement, c’est l’occasion du rendez-vous de la médiatrice que de pouvoir répondre à toutes ces questions. Et donc, je rappelle que depuis que vous êtes en poste, Sandrine Treiner, il a été invité une vingtaine de fois.

Sandrine Treiner : Tout à fait et je crois vraiment qu’il faut faire extrêmement attention quand on a des responsabilités comme les siennes à la tête d’un institut important comme l’IRIS, d’éviter d’entretenir des idées fausses sur des listes noires qui n’existent pas.

Emmanuelle Daviet : On poursuit avec cette question d’un auditeur : « sur votre antenne qui décide de la ligne éditoriale en ce qui concerne la politique et la culture ? Est-ce la directrice de France Culture ? Si oui, se fait-elle conseiller par des personnalités ou par des comités consultatifs, avec des auditeurs par exemple ?« 

Sandrine Treiner : Alors écoutez, je ne sais pas très bien ce qu’est une ligne éditoriale sur la politique, je peux le voir sur la culture, c’est très différent. Si vous voulez. Il y a une ligne globale de France Culture, on pourrait dire une identité éditoriale qui serait France Culture est le média de la vie, des idées, des savoirs et de la création. En revanche, nous ne sommes pas un média d’opinion. Chaque producteur est en charge de son programme. C’est d’ailleurs ça qui explique le terme de producteur et non pas d’animateur. Il est en dialogue avec avec la direction. Bien entendu, on fait attention aux équilibres des invitations, par exemple, etc. Mais chaque producteur est en charge de son programme. Les obligations de pluralisme touchent à la parole politique et uniquement à la parole politique. Sur notre antenne, qui est comptabilisée en fonction des règles édictées par le CSA pour l’ensemble de nos médias, le pluralisme de l’expertise lui même, il se retrouve dans la diversité des émissions et des débats sur l’antenne.

Emmanuelle Daviet : Sandrine Treiner, depuis le début de la semaine des auditeurs s’étonnent du changement de programmation et s’inquiètent de ne plus retrouver certains de leurs rendez-vous habituels.
Quelles explications peut on leur apporter ?

Sandrine Treiner : Alors oui, les modifications de grille qui ont été constatées ont été du reste énoncées dans les voix des producteurs dans Les Matins, en fin de journée, à l’heure de la Grande Table, bien sûr, mais on ne le dit jamais assez. Alors ces modifications, elles concernent les trois semaines à venir. Peut être quatre. On verra ce qu’il en est du retour vers l’école, les lycées, les universités. Mais nous faisons face à plusieurs sujets : la santé de nos personnels, l’empêchement à travailler de tous ceux qui ont des enfants. Et puis, plusieurs de nos personnels sont malades du Covid et nous avons également la nécessité de maintenir, quoi qu’il en soit, notre service public, voire de renforcer les aspects très distinctifs de notre antenne. Alors, pour pouvoir faire notre grille et tenir sur la durée cette grille que nous avons fait des choix :

– de 7 heures du matin à 20 heures en semaine, l’antenne est ouverte et en direct.

– de 14 heures à 15 heures, nous proposons désormais des émissions dédiées selon les jours à l’éducation, à l’environnement, au droit, à la géographie et à la sociologie. Ce qui sera sans doute l’occasion pour nos auditeurs de 14 heures de découvrir ces excellentes émissions.

– Et puis, à 15 heures, nous diffusons notre émission en partenariat avec l’Éducation nationale « En français dans le texte » opérée par l’excellente Olivier Gesbert, pendant que Mathieu Garrigou Lagrange nous prépare une Grande Traversée sur la comtesse de Ségur, figurez-vous. Tous les détails sont à retrouver sur nos sites et plus vite le retour à la normale sera possible et plus on sera heureux. Par ailleurs, je précise qu’il n’y a pas de modification horaire à ce stade sur les week-end.

Troisième confinement : France Culture adapte ses programmes à l’antenne, en ligne et en podcast