Les directrices et directeurs des chaînes de Radio France partagent avec vous leurs souvenirs de la radio à l’occasion de son centenaire.


 

Laurence Bloch, directrice de France Inter

Mon plus grand souvenir de radio est une série des « Nuits Magnétiques » sur France Culture produite par Alain Veinstein et Laure Adler qui surent inventer une nouvelle écriture radiophonique bien avant les radios dites libres. Cette série s’intitulait « Aux Etoiles éteintes » et elle était consacrée aux massacres des Tutsi par les Hutu au Rwanda.

Elle fut fabriquée, quelques mois seulement après ce génocide, par Madeleine Mukamabano, journaliste à France Culture et à RFI dont nombre des membres de la famille avaient été eux même assassinés.

Dans le grain des voix des familles de victimes, dans les silences, dans les seules intonations s’exprimaient l’horreur de ces mois de massacres. L’indicible nous était proche et les étoiles éteintes nous parlaient.

La radio était le lien entre les vivants et les morts et c’était bouleversant.

Laurence Bloch

Directrice de France Inter


 

Jean-Philippe Baille, directeur de Franceinfo

La radio, c’est d’abord l’intimité d’un studio, la chaleur d’une voix, la magie d’un direct. Une sensation étrange quand la lumière rouge du micro s’allume, un gigantesque saut dans le vide lorsqu’on s’adresse pour la première fois à des auditeurs, les autres fois aussi… C’est d’ailleurs le plus grand mystère auquel nous devons faire face: combien sont-ils derrière le poste ? Qui sont-ils ? Est-ce que ce que mon intervention est compréhensible ? Suis-je écouté plutôt qu’entendu ? Questions existentielles pour tout journaliste de radio.

Mais la radio, ce sont aussi des moments qui restent à jamais gravé dans nos mémoires: la couverture de la guerre en Bosnie sur France Info par Nicolas Poincaré, la finale de la coupe du monde 98 commentée par Eugène Saccomano sur Europe 1.

La terrible nuit des attentats du 13 novembre avec les reporters de RTL.

Des moments de radio comme on dit dans notre jargon où tout s’arrête entre émotion, stupéfaction et mystères.

La radio c’est une compagne. Un soutien. La vie.

Je me souviens de ma grand-mère s’asseyant dans sa cuisine pour écouter France Inter, fixant le poste de radio sur sa table comme si c’était un ami venu prendre le café. Je me souviens de mon père cherchant sur les grandes ondes de son autoradio RMC quand on partait en vacances dans le sud.

Je me souviens de mes nuits d’étudiants lorsque j’écoutais le journal de la nuit d’Europe 1 avant de m’endormir.

Je me souviens de mon premier reportage sur Radio France Drôme et de mon premier fou-rire à l’antenne sur Radio France Nîmes.

Je me souviendrai toujours que sans la radio, mon quotidien ne serait pas le même.

C’est elle qui me réveille, c’est avec elle que je m’endors.

C’est elle qui rythme ma vie.

Jean-Philippe Baille

Directeur de Franceinfo


 

Jean-Emmanuel Casalta, directeur de France Bleu

Enfant, c’était Radio Monte Carlo qui résonnait à la maison, sur 1400 m GO… Lorsque je n’étais pas à l’école, je pouvais suivre « La Récréation », présentée par deux animateurs mythiques de la radio, Jean-Pierre Foucault et Léon, qui participaient par leur simplicité, leur proximité avec les auditeurs, leur accessibilité, au succès de la radio du sud de la Loire. Pourtant, ce n’est pas tout à fait mon premier souvenir de radio. Car il n’est pas audio mais visuel ! Comme si c’était hier, je me souviens de la première fois où je suis rentré dans le grand studio de Radio Monte Carlo à Marseille, au dernier étage d’un immeuble blanc et moderne, orné d’un énorme et lumineux logo rouge et blanc de la station du soleil. Je devais avoir quatre ou cinq ans, et je n’ai rien oublié de la couleur des fauteuils et de la moquette, des cendriers sur la table de bois, de l’immense console derrière laquelle officiaient les techniciens, et surtout des micros accrochés aux bras qui sortaient de la table !

Très vite après, un deuxième souvenir de radio, très particulier, celui de la création d’une radio, est accroché à mes oreilles. C’était un des derniers jours de l’année 1980. J’écoutais le son d’une naissance, la naissance d’une radio, Medi 1. Logée dans une vieille villa du centre ville de Tanger, la radio est apparue sur les ondes, et, je ne sais pourquoi, le premier son fut une chanson de… Carlos ! J’avais dix ans, et je n’ai rien oublié des premiers habillages, de la voix des journalistes, en français et en arabe, qui ouvraient les grandes éditions d’information du matin, de la mi-journée et du soir.

Et puis s’il faut encore donner deux rendez-vous de radio qui m’accompagnent fidèlement, c’est sans aucun doute pour le premier d’entre eux les commentaires des matchs de l’OM par Avi Assouly sur France Bleu Provence, et bien sur ce 26 mai 1993, ou l’on a tous cru qu’il ne retrouverait jamais sa voix lorsque Basile Boli marqua le but victorieux de l’équipe phocéenne !!! Le deuxième, c’est Yves Calvi, au début des années 2000, sur Europe 1 à 9h. Cher Yves Calvi, savez-vous combien de fois j’ai été en retard à des réunions à cause de vous ? J’étais sur le parking de l’Ina à Bry Sur Marne, dans ma voiture. Je vous écoutais, j’étais passionné, hypnotisé. Impossible de sortir de la voiture avant la fin de cette émission… De la magie… De la radio, en fait.


 

Sandrine Treiner, directrice de France Culture

Je me rappelle les postes de radio. Je me rappelle square Servan c’était un meuble imposant comme une armoire en bois marron, de la marque Schneider, je crois. Enfants, on ne pouvait pas atteindre les boutons même sur la pointe des pieds.

Je me rappelle il était dans le petit salon où mes grands-parents Zolt jouaient aux cartes

Je croyais qu’il datait de la guerre, que c’était un poste de résistance pour écouter la BBC.

Je me rappelle chez mes grands-parents Treiner rue des Pyrénées, il était dans une petite pièce qu’ils avaient en plus, dans leur appartement modeste, où étaient aussi les livres et les disques. Il était déjà un peu moins gros, mais sans doute parce que c’était plus tard dans le temps, après le déménagement de la rue Notre-Dame de Lorette.

Je me rappelle que les voix de la radio se déplaçaient chez mes parents rue de la glacière au rythme des mouvements de mon père et que ses pieds craquaient quand il marchait et je pensais que c’était un bruit qui venait du petit poste mobile.

Je me rappelle que le son était toujours imparfait, l’antenne mal orientée ou insuffisante et que parfois on ne comprenait plus rien à ce qui se disait.

Je me rappelle que là où je gardais des enfants, adolescente, rue de la glacière toujours et parfois rue Broca, je cherchais chez les gens les postes de radio pour tromper l’ennui s’ils rentraient vraiment trop tard. Ouf, je les trouvais toujours.

Je me rappelle quand j’ai reçu pour mon anniversaire un radio-réveil, il était assez gros, noir de forme ovale, et c’était vraiment la joie.

Je n’ai jamais vu le poste de radio à Chisinau, dans ma famille Schwartzmann où je sais que le grand-oncle Isaac a entendu l’annonce de la mort de Staline mais il l’a écrit dans ses mémoires.

L’an passé, mes enfants m’ont offert un nouvel appareil, en bois, vintage, pour écouter toutes les radios du monde.

Je crois que mes grands-parents auraient été heureux de savoir que je travaille à la radio.

Un traiteur italien s’est installé l’an passé rue Jeanne d’Arc à la place d’une boucherie Chevaline qui paraissait aussi ancienne que le meuble Schneider – était-ce Schneider ou Tromson ? – du square Servan, que je regrette beaucoup de n’avoir pas conservé lorsque j’ai vidé l’appartement après la mort de ma grand-mère, mais peut-être ne l’avait-elle déjà plus, je ne sais pas.

Il y a eu la pandémie, aussitôt ouvert, la boutique a refermé. J’y suis entrée très récemment pour la première fois. Le magasin est assez petit, mais les jeunes propriétaires ont installé des étagères sur tous les murs, et posé côte à côte plein de radios, de vieilles et belles radios comme chez mes grands-parents Zolt, justement. Ca m’a rappelé les appartements de mon enfance. Je me suis dit : tiens, avant, la radio, c’était aussi les postes de radio. Ca se collectionne maintenant, comme les souvenirs.

Sandrine Treiner

Directrice de France Culture


 

Marc Voinchet, directeur de France Musique

Un souvenir de radio, c’est un souvenir de soi. C’est minuscule et géant. Un souvenir de radio, c’est du lointain au creux de l’oreille. Souvenir d’un moment, d’un lieu, d’une émotion, d’un rire, d’un apprentissage, d’une peur ou d’une colère, la radio est un journal intime. Il nous décrit en même temps que l’événement qu’il nous rappelle. Se souvenir de la radio est un souvenir de nos rêves. Un souvenir de radio, c’est un autoportrait, sans feuille ni crayon. C’est un réduit immatériel, un parfum, un goût. Un souvenir de radio, c’est une promesse. Le souvenir de radio est un sablier infini.

Marc Voinchet

Directeur de France Musique


 

Bérénice Ravache, directrice de Fip

Cinq siècles après l’invention de l’imprimerie qui permettait à tous de voir le monde à partir de la lecture de caractères alphabétiques, le génie humain a inventé la radio qui permet à tous de voir le monde avec les oreilles. La lecture et la radio ont en commun de faire appel à l’imagination et à la créativité, elles obligent le cerveau à reconstituer des images, à être inventif, à participer activement à l’événement. Tout le bonheur irremplaçable de la radio vient de là : elle ne propose pas d’image, elle n’enferme pas l’imagination, elle lui ouvre la cage. S’il existe un paradis, nul doute qu’Edouard Branly et Guglielmo Marconi y déjeunent en terrasse avec Johannes Gutenberg.

La radio a 100 ans mais pour moi, la date qui témoigne une fois pour toutes de sa puissance est celle de l’Appel du 18 juin. Grâce à la radio, une foule d’anonymes a pu commencer à imaginer la possibilité de la victoire contre le mensonge et la barbarie. Du Général de Gaulle, je retiens également le discours prononcé le jour de l’inauguration de la Maison de la Radio, le 14 décembre 1963 : « A tant d’idées, de mots, d’images, de sons lancés sur des ondes merveilleuses, à ces rafales de suggestions déclenchées vers la foule secrète des esprits, à un tel mode d’expression du monde offert par la diffusion instantanée des nouvelles et des œuvres, bref à la radio, fallait-il une maison ? Oui ! Car, pour étendues que soient ses limites, dispersées ses sources et variées ses émissions, la radio est une œuvre humaine, autrement dit collective. […] »

Et la radio, c’est bien sûr la diffusion de la musique et de la culture. Pour moi, c’est aussi le talent des techniciens qui positionnent les micros sous le couvercle des pianos : qu’il s’agisse de celui du Conservatoire qui m’a permis de faire mes premiers pas au studio Olivier Messiaen de la Maison de la radio pour le Concours du Royaume de la musique et de Radio France, ou celui des virtuoses auxquels j’ai tourné les pages lorsque j’étais étudiante et dont les moindres nuances étaient parfaitement retransmises sur les ondes.

La radio, grâce à son faible encombrement, est à la fois la voix du monde sédentaire qu’emportent avec eux les nomades et la voix du monde nomade qui tient compagnie aux sédentaires. L’avenir de la radio, c’est de continuer à se faire aimer par les nomades et les sédentaires.

La radio que j’aime est à la fois mon voyage et mon port d’attache.

Bérénice Ravache

Directrice de Fip


 

Bruno Laforestrie, directeur de Mouv’

Nous sommes en 1997 à l’hôpital gériatrique Charles Foix d’Ivry sur Seine. Au fond d’un parc, un petit bâtiment accueille des personnes âgées en long séjour, souvent atteintes de la maladie d’Alzheimer, qui n’ont aucune idée de la scène qui va se jouer quelques mètres plus loin. Après avoir dépassé la salle commune vide à cette heure tardive, sur une porte, un écriteau, l’Espace FM rebaptisé depuis peu Générations.

La porte s’ouvre sur un local d’une cinquantaine de mètres carrés avec une régie de radio et un petit studio.

Changement d’ambiance, on ressent une effervescence. Ils sont venus de l’Île de France mais aussi de Marseille. Combien sont-ils ? Que s’apprêtent-ils à faire avec leur feuille à la main ?

Tout simplement un des plus grands freestyles de l’histoire de la radio. Une joute oratoire, un défi d’éloquence sur des beats lourds et lancinants.
Sur la gauche, Marseille avec IAM et la Funky Family. En première ligne, Akhenaton, Shuriken et le Rat Luciano sont prêts. Sur la droite ceux qui tiennent le pavé parisien Oxmo Puccino, Pit Baccardi et les X Men.

Il y a-t-il des règles ? Non. La technique et la passion.

Les locaux ouvrent le bal « Des affranchis qui ne se font pas « iechent » qui crèchent près de la porte de la porte Bagnolet » mais Marseille enchaîne « Bienvenue dans le marécage où pas mal de MC’s jadis coulèrent ». Pendant 20 minutes les rimes s’enchaînent. Les images et Punchlines se percutent. Il n’y a pas de vainqueurs hormis le spectateur que je suis et les centaines de milliers d’auditeurs qui ont découvert, ces quelques mois de 1996 à 1997, le phénomène Time Bomb qui fédérera les grandes familles du rap français et donnera naissance à ses grands noms de Booba à Oxmo Puccino sans oublier Diam’s qui y fera ses premiers pas.

Depuis une seule conviction qui guide mon parcours, la radio s’écoute, la radio se vit !

Bruno Laforestrie

Directeur de Mouv’

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