Diagnostics médiatiques
Au fil de ces derniers jours, les messages distillés par les autorités sanitaires ont préparé les esprits à passer à des mesures contraignantes pour lutter contre le coronavirus. Lors de son allocution, suivie hier soir par près de 25 millions de Français (un record pour une déclaration officielle) Emmanuel Macron a annoncé la fermeture dès lundi des établissements scolaires, des universités et des crèches pour freiner la propagation du coronavirus. Cette mesure historique s’ajoute à une batterie d’annonces pour protéger les personnes âgées, soutenir le monde du travail et limiter les contacts et les déplacements. Chacun est en mesure de comprendre les objectifs : limiter le nombre de victimes et éviter un afflux critique dans les structures hospitalières capables de prendre en charge les formes graves du coronavirus, notamment les services de réanimation.
Cette accélération à venir de l’épidémie semble inéluctable, pourtant des auditeurs s’interrogent et fustigent l’emballement médiatique : « C'est quand même curieux ces infos en boucle sur une grippe. La société qui s'affole pour quoi ? C'est assez étrange. Je ne comprends pas le traitement de l'info ». Rappelons que même si les symptômes sont proches, il est faux de penser que la maladie provoquée par le coronavirus n'est rien d'autre qu'une grippe. Il reste de nombreuses incertitudes scientifiques sur ce virus. Les experts soulignent qu’il semble plus mortel, ses formes graves peuvent toucher des catégories de patients plus larges et, est-il nécessaire de le rappeler, il n'existe pas de vaccin. Malgré ces éléments factuels, on nous reproche une épidémie d’infos anxiogènes sur les antennes et des auditeurs n’hésitent pas à y voir tous les symptômes du complot : « Il suffit d’écouter la surenchère de gros titres catastrophistes, France Inter et France Culture sont très bien placés dans la course, pour constater que gouvernement et médias ajoutent copieusement de l'huile sur le feu tous les jours » « 61% de Français qui écoutent trop les grands médias en mettant leur bon sens au placard sont victimes de cette auto-hypnose semi-collective. Les 39% restant attendent la fin de cette farce », « Commencer chaque bulletin et journal d'information avec des bilans, décès, cas de contamination, n’est pas digne de cette chaîne, c’est même honteux cela engendre la panique. Cela relève du matraquage. À moins que cela soit une demande du gouvernement ? Que France Culture reprenne ses esprits et ne joue plus le jeu des réseaux sociaux catastrophistes et complotistes ! ». Achevons cette litanie avec un auditeur qui dresse le tableau clinique du naufrage économique à venir : « Si vous n'aviez rien dit ce virus serait quasiment passé inaperçu. Là, je le constate à mon travail : commandes bloquées, embauches suspendues, investissements repoussés, restrictions d'achats courants ! Les dominos tombent et ça va s'amplifier ! Ça va nous coûter très très cher, juste pour éviter quelques octogénaires déjà malades morts en plus ! Calmez-vous ! Redevenez raisonnable, vous êtes en train de créer la panique. ». Ces messages, que certains jugeront sidérants, reflètent des points de vue, pire des croyances. Se taire pour faire prévaloir des intérêts économiques ? Cette invitation à la dissimulation est le terreau des thèses conspirationistes.
Balayons les soupçons et rappelons une évidence : quelque soit le contexte, la mission des journalistes consiste à informer, pas à dissimuler. Nous traversons une situation, nationale et internationale, sans précédent. Les journalistes se livrent à un exercice délicat : couvrir la crise du coronavirus dans toute sa complexité, sans transformer pour autant les antennes en relais anxiogènes. Notre mission d’information de média de service public consiste donc à donner la parole aux personnes compétentes pour s’exprimer sur cette pandémie. Médecins, scientifiques, experts sont conviés aux micros. Notre mission consiste à relayer les messages gouvernementaux sur les précautions à prendre, même si des auditeurs les jugent exaspérants ou générateurs d’angoisse : « J’ai l'impression que ce sont les messages des pouvoirs publics qui ont paniqué la population. Pourquoi ces messages puisque c'est moins mortel qu'une grippe ? ». Cette campagne de prévention sur l’ensemble des chaînes du groupe Radio France correspond à une obligation d’assurer la diffusion de messages d’alerte sanitaire sur les antennes du Service Public. La diffusion des mêmes messages sur les radios privées repose sur la base du volontariat. Ces messages sont mis à l’antenne avec une régularité d’horaire : deux le matin, deux le midi et deux le soir, aux emplacements permettant l’exposition la plus large possible et hors écran publicitaire. Notre mission consiste également à prendre le pouls sur le terrain avec les reportages des journalistes au contact de la population. Notre mission consiste aussi à questionner les élus, les acteurs politiques et économiques sur cette crise pluri-dimensionnelle. Chacun doit être entendu sur les antennes et il ne s’agit pas de relayer la parole officielle sans l’interroger.
Sur le coronavirus, les questions de nos auditeurs en cette fin de semaine sont multiples, ils nous écrivent massivement. Leurs interrogations concernent le virus (durée de vie, propagation,etc.), l’organisation du quotidien, le suivi de la scolarité, des plus petits aux élèves en lycée professionnel, les examens et concours pour les étudiants, les conditions du télétravail avec de jeunes enfants, la prise en charge des plus âgés et des personnes en situation de handicap. Leurs réflexions sont à lire dans cette Lettre où nous vous proposons également différents liens pour réécouter les interviews des professionnels de santé, des économistes ou membres du gouvernement invités cette semaine. A la lecture des messages reçus, il apparaît clairement que nos auditeurs sont en attente d’une information extrêmement rigoureuse, diversifiée et qui reflète l’excellence que nos antennes de service public savent pleinement mettre en œuvre quelles que soient les circonstances : « La période que nous traversons est exceptionnelle. Les auditeurs ont BESOIN de vous » nous a écrit mercredi 11 mars une auditrice.
Les rédactions de Radio France couvrent cette actualité très évolutive avec le plus grand professionnalisme possible. Et lorsque des auditeurs nous signalent çà et là des approximations ou souhaitent davantage de précisions, leurs remarques sont systématiquement relayées auprès des rédactions. Comme par exemple cette demande récurrente dans les courriels reçus : le souhait d’entendre les témoignages de personnes guéries : « Je suis frappée par le fait qu’on parle en permanence, et pluri quotidiennement, des nouveaux cas de coronarovirus, et du nombre de morts mais jamais, on entend parler des guérisons », « Est-il possible que vos rédactions précisent quel est le nombre de guérisons ainsi que le profil des patients-victimes. Ces informations sont essentielles pour apprendre à comprendre et relativiser. », « Est ce que vous pourriez aller interviewer des gens qui ont guéri afin d’apporter un peu de positive attitude dans nos oreilles ? » Franceinfo a diffusé mercredi 11 mars les témoignages de trois personnes ne présentant plus les symptômes. Ces personnes se déclarent guéries, mais aucune n’a eu de test pour le confirmer. Ces reportages, signés Benjamin Illy, sont à retrouver ici. Demain dans le rendez-vous de la médiatrice à 11h51 et 13h51, Jean-Philippe Baille, Directeur de la rédaction de Franceinfo, répond aux questions des auditeurs sur le traitement éditorial du coronavirus. Il s’exprimera également sur la couverture journalistique des élections municipales.
Opération « Municipales »
Depuis des semaines, les rédactions couvrent la campagne des élections municipales et, en ces derniers jours avant le premier tour, le traitement journalistique de cette actualité politique suscite un grief unanime : on parle trop de Paris. « Le jacobinisme est toujours vivant dans notre pays. », « Je suis frappée par le "parisianisme" dans le milieu des journalistes. Croyez-vous qu'à une heure de grande écoute nous soyons intéressés par le programme des municipales à Paris ? » « Bizarre dans un pays qui compte 36 000 communes, ne trouvez-vous pas ? », « Après votre tour de France des grandes métropoles, l'accent mis sur la ville de Paris concentre votre attention alors que la richesse de notre démocratie locale est bien plus que l'actualité parisienne », « Encore un sujet sur les municipales et la vie de quartier à... Paris ! Comme la très grande majorité des Français (97%?), je ne me sens pas concerné. », « Habitant la province je me fous un peu de ce que pensent les candidats à la mairie de Paris ! » Autre reproche formulé : l’absence de bilan des maires sortants : « Beaucoup d'importance accordée aux commentaires et aux analyses de stratégies politiciennes. Les nouvelles lois ou propositions y sont aussi souvent discutées. Mais malheureusement peu d'informations sont fournies sur le bilan des actions des politiques, qu'il soit positif ou négatif. Quand nous informe-t-on sur le bilan des maires sortant(e)s ? Je serai par exemple très intéressé d'en connaître plus sur le bilan des mairies FN/RN. ». Incontestablement la campagne des élections municipales de Paris a occupé une place importante sur les antennes. Cependant l’ensemble du territoire français était également présent avec des dispositifs spéciaux sur les différentes chaînes de Radio France. « Code postal » dans la matinale de France Inter et des invités dans les journaux d’information. Les enjeux des municipales ont été examinés dans une dizaine de villes : Lille, Saint-Etienne, Perpignan, Besançon, Bastia, Bordeaux, Rouen, Clermont-Ferrand, Nantes et Fréjus. Avec le Bus des municipales, Franceinfo a parcouru les villes de France à bord d’un transport en commun, bus ou tram, depuis septembre 2019. Au programme : Grenoble, Nice, Lyon, Lille et Marseille, Perpignan et Paris. Chacune des étapes était accompagnée d’un sondage sur les intentions de vote en partenariat avec la station locale de France Bleu. Et cette semaine, avant le premier tour, Franceinfo a intensifié ses délocalisations dans cinq villes moyennes aux forts enjeux territoriaux : Rouen, Chateaudun, Saint-Amant-Moront, Saint Chély d’Apcher et Sète. France Bleu et ses 44 radios locales ont organisé plus de deux cents débats entre candidats, dont près de la moitié organisés avec les titres régionaux de presse écrite et plus d’une centaine avec les stations régionales de France 3. France Culture a proposé des magazines et des reportages avec notamment les « Jeudis des municipales » : chaque jeudi, une ville passée au crible dans les journaux d’informations.
Encéphalogramme plat dans le rap
Voici des menaces de mort à coups de notes et de rimes. A ma droite : un journaliste, Pascal Praud. A ma gauche : des rappeurs, Sneazzy en duo avec Nekfeu. Ce dernier trône aux côtés de PNL, Ninho, Soprano et Lomepal dans le top 10 des ventes d'albums en 2019 en France, autant dire que son audience est très large auprès des amateurs de rap. Ce mouvement culturel fort – la nouvelle variété – issu de la langue de la rue ou influencé par la chanson française est désormais la norme, une contre-culture devenue dominante, véritable pépinière d’artistes qu’on suit avec beaucoup d’intérêt. Mais dans la galaxie du rap, si certains titres s’affirment comme de magnifiques électrochocs dans le paysage musical, d’autres en revanche seraient bien inspirés de mettre leurs supposés talents sous perfusion. Le titre qui nous intéresse appartient à cette seconde catégorie : dans leur clip, sorti le 6 mars, Sneazzy et Nekfeu dévoilent un titre « Zéro détail » dans lequel ils menacent Pascal Praud de mort : "Les journalistes salissent l'Islam, sont amateurs comme Pascal Praud, Ça mérite une balle dans le cervelet, le canon au fond de la bouche". Le lien de ce clip relayé par Mouv’, l’une des antennes du groupe Radio France, a déclenché la colère des auditeurs. Dès réception de leurs messages, Bruno Laforestrie, directeur de Mouv’ a indiqué que son antenne n’avait pas diffusé ce titre : « Un court article a été rédigé sur le site internet de Mouv' annonçant factuellement la sortie du clip vidéo "Zéro détail" et renvoyant vers le compte Youtube de l'artiste. L'article a depuis été supprimé ».
Même si les spécialistes constatent l’émergence d'un rap plus commercial, plus populaire et moins radical, le rap reste engagé et militant. A ce titre, et dans la perspective d’un rap revendicatif, Kool Shen (moitié du groupe NTM avec JoeyStarr), s'étonne que le mouvement des Gilets jaunes n'ait eu aucun retentissement dans le hip-hop. Un constat qui pourrait intéresser « Laurent », l’invité d’«Une journée particulière» sur France Inter dimanche dernier. « Laurent » ex-préfet devenu Gilet jaune.
Intervention à cœur ouvert
Laurent a travaillé quinze années pour l'État. Il y a servi dans la fonction publique : diplomatie, Quai d’Orsay, mais aussi dans le corps préfectoral, comme directeur de cabinet de préfet, en charge de la police, de la gendarmerie et du maintien de l’ordre. Il a choisi comme « Journée particulière » le 1er décembre 2018, acte III du mouvement des Gilets jaunes. Ce jour-là, il s’est rendu pour la première fois sur un rond-point, à côté de chez lui, dans le bassin d’Arcachon. Ce 1er décembre 2018, contre toute attente, il est devenu Gilet jaune pour incarner ce qui a toujours été son moteur : le respect des valeurs républicaines. Cette émission a suscité deux types de réactions chez les auditeurs. Indiscutablement une avalanche de compliments : « Merci beaucoup à "Laurent" pour ses propos très justes et magnifiques dans la bouche d'une personne dont le seul maître mot est "engagement", le tout en écho à sa conception de la République et de la justice. », « C'était remarquable. Cet homme s'exprime avec une clarté et un engagement inouïs. Il est d'un courage et d'une humanité exceptionnels. », « Je viens de terminer l'écoute de l'émission du jour et vous en suis pleinement reconnaissante c'est effectivement une émission qui fait bouger les neurones, réfléchir, et bouscule dans nos habitudes et nos craintes. », « J'adore la station France Inter pour tous les moments intelligents qu'elle propose », « Nous aimerions entendre plus souvent ce type d'interview sur France Inter "NOTRE Radio Nationale" ». Mais en contrepoint, ce témoignage atypique, fait sous couvert d’anonymat, a généré la franche indignation d’une partie des auditeurs : « Est-il normal de baser une émission sur une personne qui va s'exprimer très largement tout en restant anonyme ? », « Laurent, ancien sous-préfet tombé dans le gauchisme et l'extrémisme "Gilet jaune" depuis le 1er décembre 2018 (jour de sa révélation !) . J'ai été désagréablement stupéfait d'entendre cette personne (pourquoi ne pas inviter Juan Branco ou un alter ego, cela aurait été plus clair!) avoir une tribune de 57 minutes pour défendre les "Gilets jaunes" et autres ardents manifestants opposés à l’exécutif. », « Est-il normal de baser une émission sur une personne qui va s'exprimer très largement tout en restant anonyme? », « Après l'anonymat dévastateur sur les réseaux sociaux allons nous vivre le même phénomène sur France Inter ? », « Je ne suis pas très content que vous invitiez des gens sous couvert d'anonymat. Cela favorise le coté "fake" des réseaux sociaux ». Dans cette Lettre Zoé Varier, la productrice de l’émission, apporte son éclairage sur la préservation de l’anonymat de son interlocuteur.
Au fil des prochains jours, des prochaines semaines, en ces temps de crise inédite où de nombreux défis sont à relever, il est un mot que l’on entendra peut-être davantage sur les antennes : c’est le mot « gageure ». Un mot souvent mal prononcé et les auditeurs ne se privent pas de nous le signaler. Alors pour finir, petite leçon de prononciation avec Bernard Cerquiglini, linguiste, Professeur des Universités, Recteur honoraire de l'Agence universitaire de la Francophonie, à voir ici dans l’une de nos vidéos de la semaine.
Bonne lecture,
Emmanuelle Daviet Médiatrice des antennes
Voici les dominantes du 6 au 13 mars 2020 à retrouver dans les messages des auditeurs ci-dessous : 1- Le coronavirus - La fermeture des écoles - Toutes les questions que se posent les auditeurs sur le coronavirus 2- Les élections municipales : un traitement trop parisianiste ? 3- "Zéro Détail" : la chanson de Sneazzy et Nekfeu 4- "Une Journée particulière" : Laurent, ancien sous-préfet, devenu Gilet jaune 5- Marie Dosé, avocate : invitée de la matinale de France Inter
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