Liberté, Fraternité…Vitalité !
Vitalité des auditeurs toujours nombreux à nous écrire !
Avec 26 000 messages au mois d’avril, le service de la médiation enregistre une hausse de 43% de courriels reçus.
En ce début mai, 6 000 courriels nous sont déjà parvenus et cette Lettre vous en livre la teneur.
Une semaine rythmée par les journées spéciales et des grands moments d’antenne : la fête du travail, le 1er mai, avec « Les premiers de corvées » et l’opération « Culture, l'état d'urgence : comment sauver la culture face à la crise » ont inspiré les auditeurs. Certains invités suscitent également des réactions : de la porte-parole du gouvernement jugée « inaudible » à Nicolas Hulot qui divise les auditeurs. Cette semaine, le courrier est également marqué par les interrogations sur la réouverture des classes.
Depuis huit semaines, les remerciements pour les antennes, les témoignages, les lettres d’intérieur continuent de nous parvenir, les critiques aussi et nous allons aborder ici certaines d’entre elles.
A distance, toujours
Un auditeur m’écrit : « Plusieurs journaux, dont le magazine « Le Point » et le site « Arrêt sur images », ont fait état de l'information suivante : l'éditorial de M. Graziani du 27.04 sur France Inter, consacrée à l'humeur présidentielle vis à vis du calendrier législatif, serait directement inspiré par un message SMS envoyé par le Président lui-même et à son initiative à M. Graziani - parmi d'autres journalistes. Ne pensez-vous pas que dans de telles circonstances, il existe un risque d'instrumentalisation d'un journaliste par un pouvoir politique qui cherche à faire "passer des messages" à l'opinion ? »
Plus important, comment interpréter la phrase suivante issue de l'éditorial en question : "Le chef de l’État, lui, on l’a compris, est dans une démarche unitaire à tous les niveaux".
S'agit-il d'une analyse de M. Graziani, qui viendrait bizarrement contredire le reste de l'éditorial, ou bien la transmission d'éléments de langages présidentiels destinés à ne pas trop brusquer le premier ministre. Dans ce cas, est-ce le rôle d'un journaliste de faire apparaitre une parole d'intention comme une vérité ? et est-ce le rôle d'un journaliste de la transmettre sans filtre, en contrepartie d'un scoop présidentiel prélevé à la source ?
Dans votre dernière lettre aux auditeurs vous affirmez que chacun des journalistes de Radio France met en œuvre l'impératif d'indépendance à l’égard de ceux dont ils relatent l’action. "Soyez certains" écrivez-vous sur un mode impératif qui fait écho au "vous l'aurez compris" de M. Graziani. Je vais plutôt l'interpréter comme une demande, une demande de bien vouloir vous croire.
Et je me ferai un plaisir de traiter cette demande dès que j'aurai les réponses aux questions posées dans ce message et par vos confrères sur l'éditorial de M. Graziani. »
Ce message pose des questions légitimes et me donne l’occasion d’apporter un éclairage sur cet épisode.
En préambule, indiquons que lorsqu’un journaliste traite un sujet, a minima il vérifie ses informations et contacte le principal intéressé du sujet en question. Ni les journalistes du journal « Le Point », ni ceux du site « Arrêt sur images » n’ont jugé nécessaire d’appeler Cyril Graziani, fondant leur propos au mieux sur d’hypothétiques déductions, au pire sur des rumeurs.
L’auditeur évoque l’indépendance des journalistes que je défends, il existe également un autre principe intangible dans notre profession c’est la protection des sources.
Dans les faits, le papier du journaliste politique de France Inter n’a pas été rédigé sur la base de sms envoyés par Emmanuel Macron.
Depuis 2012, Cyril Graziani est le journaliste politique de France Inter chargé de suivre l’actualité des présidents de la République au sein de la rédaction. A ce titre, sa mission consiste à raconter, décrypter, analyser les informations relatives à la Présidence. A un tel poste, on tisse au fil des années un maillage relationnel permettant d’avoir des informations de première main.
Le week-end du 25 avril, Cyril Graziani apprend que le président de la République n’apprécie pas la petite musique qui monte concernant de prétendues dissensions avec son Premier ministre. Partant de ce postulat, le journaliste politique cherche à en savoir davantage et entreprend un travail de vérifications, de recoupements auprès de différents interlocuteurs.
A l’issue de plusieurs échanges téléphoniques, il en déduit que dans cette période sensible Emmanuel Macron est plutôt dans une démarche d’unité et veut couper court à ces rumeurs. Il constate la volonté de l’exécutif de réaffirmer la solidité du tandem. C’était la teneur de son papier diffusé le lundi 28 avril dans le journal de 8h de France Inter.
L’auditeur s’étonne de l’une des formules de Cyril Graziani dans son papier : « Le chef de l’État, lui, on l’a compris, est dans une démarche unitaire à tous les niveaux ». Cet étonnement est fondé et, à juste titre, on peut en effet considérer qu’il s’agit d’une éditorialisation qui s’éloigne des éléments factuels en possession du journaliste, ce dernier aurait donc pu s’en abstenir.
Cette interpellation de notre auditeur permet de rappeler que les dynamiques de production de l’information médiatique nécessitent d’être appréhendées avec nuance. Un journaliste qui a des contacts, a des informations. Cela ne signifie pas pour autant être dans la connivence, ni ne révèle, ipso facto, une instrumentalisation. Un journaliste ne se fait pas servir le soir, sur un plateau d’argent, les infos à distiller le lendemain au petit déjeuner à l’antenne ! Parfois des interlocuteurs souhaiteraient que des journalistes, spécialistes dans l’investigation par exemple, sortent des infos mais c’est rare. Et en l’occurrence mieux vaut s’en méfier, puisqu’il peut s’agir d’intermédiaires travaillant par exemple pour des lobbys. Les meilleures informations, sont celles que le journaliste va chercher, « en grattant » pour l’exprimer trivialement.
Au-delà du message de cet auditeur, je reviens sur les différents articles sortis dans la presse au sujet de cette information de Cyril Graziani. En filigrane, on lui reprocherait de n’être pas plus explicite sur ses sources. Son papier aurait gagné en exhaustivité s’il était mentionné « Emmanuel Macron m’a dit que » « le dénommé X un proche conseiller me confirme que… ». Ces omissions seraient constitutives d’une faute ? Ce reproche porte surtout une grave atteinte aux principes mêmes de notre profession. C’est être oublieux de l’une des règles les plus fondamentales du journalisme, à savoir le secret des sources. Ces confrères foulent du pied l’article 2 de la loi sur la liberté de la presse qui précise : « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public. (…). Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources (…) le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources. ». Il n’est jamais inutile de se référer aux textes fondateurs de la profession.
J’invite les auteurs de ces articles, la prochaine fois qu’ils consacreront un article au travail de Cyril Graziani, à le contacter directement afin d’avoir sa version des faits. Au-delà d'un comportement correct et loyal, il s'agit d'une règle dont le non-respect peut être sanctionné par le juge et qui consiste à recueillir la position de celui ou celle que l'on met en cause : cela s'appelle le principe du contradictoire.
Au plus près des chiffres
Chaque jour, je reçois des messages d’auditeurs sur les chiffres relatifs aux morts du Covid-19 : « Je voudrais vous faire part de ma perplexité quant à la façon dont toutes les ondes présentent les chiffres de décès dus à la pandémie : en effet, il est toujours question de chiffres absolus, jamais de proportion par rapport à la population. (…) Tout le monde sait qu’en matière de statistique, des chiffres donnés absolument n’ont guère de sens. Comment savoir si l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, ou l’Allemagne s’en sortent mieux que nous, si je ne peux rapporter le nombre de décès au nombre d’habitants ? », « Info récurrente : USA premier pays en nombre de mort du Covid : Faux. USA 204 morts par millions d’habitants, Belgique 670 morts par millions. France 379 morts par millions d’habitants soit 1,85 fois plus. »
Les auditeurs s’interrogent à juste titre. Tout d’abord, indiquons qu’il n’y a pas désinformation, dissimulation ou volonté de biaiser l’information. Ensuite nul n’ignore qu’il y a plus d’habitants aux Etats-Unis qu’en France…
Un journal radio donne en quelques minutes les éléments essentiels de l’actualité, ce sont des balises, de grands indicateurs qui font parfois l’objet d’encadrés, d’approfondissements mais en aucun cas il ne s’agit d’un contenu s’apparentant à des statistiques universitaires. Les principaux chiffres sont donc donnés quotidiennement, parfois des papiers de spécialistes apportent des éléments factuels de comparaison, mais on ne peut pas le faire dans chaque journal pour d’évidentes raisons éditoriales qui nécessitent d’aborder de multiples sujets. Ajoutons que sur France Inter, les journalistes ne parlent pas quotidiennement en termes statistiques (même si, scientifiquement, c’est essentiel, et il leur est arrivé de l’expliquer) mais en termes de vies perdues et d’ampleur des souffrances provoquées par cette pandémie. Dire, alors, que les Etats-Unis sont les plus touchés est... vrai !
Autre point notable, et l’on me pardonnera ce truisme, la radio c’est du langage parlé. Dans un « papier radio » (d’une durée comprise entre 40 et 50 secondes) on ne peut pas se permettre de « noyer » l’auditeur avec des chiffres, au risque qu’il ne retienne aucune information. Tout journaliste radio le sait.
Permettez-moi de suggérer une petite expérience. Ecrivez un texte, d’une durée de lecture d’à peine une minute, en donnant tous les chiffres comparatifs qui vous intéressent sur les morts du Covid-19 de différents pays. Lisez ce texte à une personne de votre entourage, de préférence au réveil, moment de la plus forte audience en radio. A l’issue de votre lecture, demandez à cette personne ce qu’elle a retenu. Vous serez surpris. Je vous laisse mener cette expérience simple mais éminemment instructive.
Dans une perspective comparatiste des morts du Covid-19 selon les pays, chacun peut cependant approfondir sa connaissance puisque les données, souhaitées par les auditeurs sont fournies par les journalistes.
Ainsi, pour suivre l’évolution de l’épidémie en France et dans le monde, le site franceinfo offre quotidiennement une vision complète de la progression de la pandémie de Covid-19 avec une série de cartes, de graphiques, sur le nombre de morts, les hospitalisations, l’âge des malades, avec des indicateurs actualisés chaque jour.
De son côté, le site de France Inter fait chaque jour le point, avec les données publiées par Santé Publique France, sur le nombre d'hospitalisations et de placements en réanimation de patients sur tout le territoire. L'une des seules données vraiment fiables, selon les médecins.
Pour éviter les « fake-news » - infox ou fausses informations - le site propose également une sélection de sources fiables pour s'informer sur les chiffres du Covid-19 partout à travers le monde : l'université américaine Johns-Hopkins, à Baltimore, a mis au point une carte interactive permettant de suivre en temps réel la progression de l'épidémie à travers le monde. Le site comprend un décompte, pays par pays, avec les cas confirmés, les décès, les personnes guéries et les cas actifs. Il existe également une version pour la France avec le détail région par région. Enfin pour ceux qui préfèrent les chiffres, le site worldometer.info est intéressant.
Le pessimisme en bandoulière ?
Au fil des semaines, la critique à l’égard des informations négatives délivrées sur les antennes s’amplifie. Outre le climat, déjà très installé, de défiance à l’égard de la presse, cette ère nouvelle d’incertitudes et d’anxiété générée par la situation sanitaire, attise un penchant bien ancré : faire endosser aux médias une part de responsabilité.
Dans les courriels, la critique vise les choix éditoriaux et directement les journalistes, accusés de faire sombrer un peu plus le pays dans un pessimisme gluant : « Dans cette crise les journalistes auront une responsabilité énorme, jamais un regard positif sur ce qui est fait, la critique est facile !! » « Vous contribuez à infantiliser et à renforcer le pessimisme des Français déjà plus élevé que dans les autres pays, en mettant systématiquement l'accent sur les dangers, les inconvénients, les risques des mesures prises ». Pour les auditeurs, les angles retenus par les rédactions restent trop souvent anxiogènes : « Après le tableau effrayant brossé et entretenu heure par heure par ces journalistes en mal de copie, les voilà qui osent entonner une nouvelle antienne : les Français ont peur ! ».
Choix de reportages, hiérarchisation de l’information, invités des émissions, manière de mener les interviews, tout passe au crible de la critique frontale et parfois outrageuse : « Je souhaitais savoir pourquoi la parole n’est donnée depuis le début de la crise du covid qu’à des « pseudos spécialistes » allant tous dans le sens d’une exagération de la dramaturgie. ». De quels critères dispose-t-on pour mesurer le phénomène d’exagération face à une pandémie hors-normes ? Par ailleurs, les micros ne sont pas ouverts à des « pseudo-spécialistes » mais au contraire à des professionnels médecins, scientifiques, chercheurs, universitaires. Les rédactions veillent très scrupuleusement au profil des interlocuteurs choisis comme l’explique Richard Place, directeur adjoint de la rédaction de Franceinfo, dans le rendez-vous de la médiatrice du 2 mai 2020
Cependant, indiscutablement, depuis le début du confinement les antennes ont pris une teinte particulière, trop sombre au goût de certains auditeurs - même les plus fidèles - comme ce couple qui écoute « son antenne » depuis 40 ans : « La matinale depuis le confinement nous "fatigue", nous déprime. Il n'y a plus d'espoir dans le futur, il n'y a que des infos désespérantes, des commentateurs tristes qui proposent des invités annonciateurs d'un futur catastrophique. Nous sommes persuadés que cela ne représente pas véritablement notre pays. La France ce n'est pas seulement un pays en faillite, c'est un pays encore créatif qui est plein de forces qui méritent un temps d'antenne équivalent.»
Cette perception d’une information monochrome traduit l’envie d’une autre vision de notre pays, le désir aussi d’entendre une pluralité de points de vue. Au regard de la richesse des programmes et journaux d’informations proposée par les antennes de Radio France, il est difficile de penser que chaque auditeur n’y trouve pas son compte en matière de diversité d’opinions. Cependant qu’il y ait une critique de la « couleur » des informations est concevable, mais ce qui pose davantage problème c’est d’attendre de la part des médias une sorte de réenchantement du monde. Or ce n’est pas leur mission. Les médias donnent les faits, racontent ce qui se passe à travers la planète, d’où la prépondérance des nouvelles négatives et le moindre écho donné à celles plus légères et positives. Chacun reconnaîtra que pour l’heure, et malgré le déconfinement prévu lundi 11 mai, l’actualité immédiate n’offre pas une grande latitude pour parler de faits réjouissants et de perspectives enthousiasmantes.
Croyez-le, aucun journaliste ne se complait dans le quotidien sinistre que nous côtoyons tous. Derrière votre poste, devant nos micros, nous vivons tous cette crise sanitaire, cette pandémie, ce confinement. Dans ce contexte les journalistes s’efforcent de faire au mieux leur travail d’information.
Néanmoins, comme le rappelle à juste titre ce couple d’auditeurs : « La France (…) est un pays encore créatif qui est plein de forces ». Un pays en effet porteur d’énergies, d’audace, fort de sa diversité et surtout d’une vitalité toujours à l’œuvre pour partager les valeurs qui nous animent, en particulier à Radio France. Des valeurs nécessaires pour engager les interactions et favoriser le débat démocratique afin de produire une conscience commune.
À la veille de ce 8 mai 2020, qui marque le 75ème anniversaire de la paix en Europe, rappelons que cette vitalité est intrinsèque à notre Histoire. Certes, le Covid-19 a eu raison des cérémonies traditionnelles célébrant le 8 mai 1945 dans leur forme habituelle. Pour autant, différemment, on peut rendre hommage aux combattants, aux résistant-e-s, aux victimes de ces années de guerre et à toutes celles et ceux qui ont sacrifié leur vie ou pris des risques pour que les Françaises et les Français recouvrent la liberté. Demain, à 20 heures, joignons à nos applaudissements aux soignants, la mémoire de nos parents ou grands-parents. À chaque époque ses héros.
Bonne lecture,
Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes