La méthode médiatique
Une semaine marquée par le retour des invités en studio avec François Hollande, Joël Dicker, Jordan Bardella et Agnès Buzyn à France Inter et Philippe Juvin, Franck Riester, Stéphane Richard et Jean-Michel Blanquer à Franceinfo.
Au coeur des sujets ultra-sensibles : le traitement éditorial de l’hydroxychloroquine. Des remarques également sur les reportages avec des Français ne respectant pas les consignes du déconfinement : peut-on vraiment tout diffuser sur une antenne ?
Des auditeurs de France Culture impatients de retrouver le journal de 12h30 et, comme chaque semaine, des observations sur l’usage de la langue française.
Retour des invités en studio
François Hollande était, lundi matin, la première personnalité à revenir en studio à France Inter, après deux mois sans invités dans les locaux de la station pour cause d’épidémie. Désormais chaque jour, une seule personnalité est présente dans les locaux de la chaîne, dans la matinale ou le 18/20h et le dimanche midi.
Si des auditeurs ne comprennent pas l’invitation faite à l’ex-président de la République, d’autres en revanche ont bien saisi l’intérêt de l’écouter s’exprimer sur sa part de responsabilité dans la situation de l’hôpital. Ils ont apprécié à ce sujet la clarté du propos de l’ancien chef de l’Etat : "J'ai ma part de responsabilité aussi dans la situation de l'hôpital durant la crise du coronavirus, a déclaré François Hollande, depuis des années on a contraint l'hôpital, et j'y ai pris ma part, je ne veux pas du tout m'exclure", a-t-il ajouté. Réactions d’auditeurs : « Au milieu d'un fatras de propos convenus (…) François Hollande a quand même l'honnêteté de faire un début de commencement de mea culpa sur la situation de l’hôpital » ou encore : « Ce sont des paroles rarissimes en politique, et si nécessaires pour réconcilier les Français avec leurs dirigeants. ».
Au cours de cette interview, Nicolas Demorand a abordé le sujet phare de la semaine :
Nicolas Demorand : « Et un héros comme le Pr. Raoult à Marseille, qui défend le recours à l’hydroxychloroquine pour soigner le Covid-19 ? Il y a aujourd’hui des pro et des anti-Raoult, des pro et des anti-chloroquine. Vous vous êtes fait une religion là-dessus ? »
François Hollande : « Mais moi je ne me fais pas de religion, parce que je suis un être rationnel. J’essaie de savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je n’ai pas de tabou sur telle ou telle recommandation, mais je n’ai pas non plus de fantasme. J’ai trouvé qu’il y avait là une perte de lucidité. »
L’hydroxychloroquine ? Pas touche !
« Religion », « Fantasme », « perte de lucidité », le registre lexical de la croyance est riche pour évoquer l’hydroxychloroquine. Une croyance peut engendrer l’excès. Un excès totalement à l’œuvre dans les messages des auditeurs sur le traitement éditorial de l’hydroxychloroquine sur les antennes de Radio France - sachant qu’en général, seule la voix de l’indignation se fait entendre au service de la médiation et que toute personne ayant apprécié le travail d’une rédaction est moins encline à le faire savoir.
Inconnue du plus grand nombre il y a quelques mois, tout le monde (ou presque) a désormais un avis tranché sur cette molécule. L’hydroxychloroquine connaît une notoriété inédite, depuis que, fin février, le Professeur Didier Raoult de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée-Infection à Marseille a relayé une étude chinoise affirmant que le phosphate de chloroquine montrait des signes d’efficacité chez les malades du Covid-19. Dépassant largement le terrain scientifique, l’hydroxychloroquine est devenue un sujet de débat public et politique très médiatisé, suscitant depuis cette semaine des courriels enflammés de la part des auditeurs.
Pourquoi cette semaine ? L’étude publiée vendredi dernier dans la revue scientifique The Lancet a véritablement mis le feu aux poudres.
Cette étude portant sur 96 000 patients dans 671 hôpitaux à travers six continents, conclut que ce traitement à l’hydroxychloroquine pourrait augmenter le risque d’arythmie cardiaque et de décès. Cette information relayée sur les antennes a suscité une vague de contestations.
Que le sujet soit abordé par une journaliste santé, un spécialiste sciences, un expert, un médecin, un éditorialiste, voire par des humoristes, ne pas donner de crédit à la thèse du Professeur Raoult relève du sacrilège, pour filer la métaphore religieuse. Tous les courriels reçus reflètent la colère, l’indignation, l’incompréhension quant au traitement médiatique de ce dossier où les antennes se font taxer de partialité, souvent de manière extrêmement virulente et inutilement agressive. Indiquons d’ailleurs que lors de la crise des Gilets jaunes, la teneur des messages à l’égard des journalistes n’était pas aussi violente. A travers ces courriels, le délitement de la confiance semble trouver une expression nouvelle :
« On nage en pleine réflexion unique sous peine d’être assimilé complotiste c’est très grave »
« Un peu déçue que vous vous engouffriez sur l’autoroute de l’information unique, du soit pour, soit contre »
« La virulence contre ce traitement est “louche” »
« The Lancet démolit le traitement contre le coronavirus préconisé par le professeur Raoult (…) On croit rêver »
« Vous avez battu votre record d’informations négatives sur la chloroquine au début de chaque bulletin d’informations de l’après-midi. J’ai été choqué par tant de désinformation. Cela montre que vous êtes aux ordres du pouvoir, je l’ai remarqué depuis le début de l’épidémie »
« Même si je suis réfractaire à toute théorie du complot et au populisme évident des partisans de Raoult, je commence à me poser de plus en plus de questions sur le traitement médiatique de ce sujet »
« Il serait temps qu’il y ait un débat contradictoire »
Dans ces messages, les termes de « désinformation », « complot », « mensonge » reviennent fréquemment. Ils émanent d’auditeurs qui se disent fidèles aux antennes, appréciant le travail habituel des journalistes qu’ils écoutent. Afin de pouvoir les éclairer sur les pratiques journalistiques mises en œuvre pour traiter le dossier de l’hydroxychloroquine, les journalistes santé et spécialistes sciences des antennes, Danielle Messager et Mathieu Vidard de France Inter, Nicolas Martin de France Culture et Solenne Le Hen de Franceinfo répondent ici à trois questions identiques sur cette actualité.
Peut-on tout diffuser ?
Il y a trois semaines, à la veille du déconfinement, la parole a été donnée à des Parisiens ayant fait le choix de quitter Paris pendant deux mois et qui regagnaient la capitale. Un choix alors incompréhensible pour des auditeurs, relayé dans cet édito : « Ces comportements sont inciviques, et la promotion qui en est faite par votre radio est immorale. ». « Et vous ne dîtes rien, vous donnez votre aval à cette infraction du confinement ». Dans des courriels reçus cette semaine, le même cas de figure journalistique se présente avec des reportages diffusés le week-end dernier. Le temps était radieux, le littoral pris d’assaut et des Français ont témoigné au micro des journalistes : « On n'a pas du tout respecté le confinement. On était dehors tous les jours, on n’en avait rien à cirer, et on a continué à vivre comme si de rien n'était, on a fait preuve de désobéissance civile. Mon système immunitaire ne s'est jamais aussi bien porté ! ». Des auditeurs ont réagi à ce témoignage : « Pourquoi diffuser ce reportage à Anglet où des personnes transgressent la loi en toute conscience et se vantent de ne pas s'être confinées. Quelle est l'information donnée ici ? On sait qu'il y a des gens incivils non respectueux des autres et de la société. Pourquoi leur donner la parole ? Ce n'est pas parce qu'un son est enregistré qu'il faut le diffuser. »
« J'ai été très choquée par le reportage sur Anglet où une certaine Nina se vante de sa désobéissance civile (…) Entendre ce genre de réflexion est vraiment très dérangeant (…) et sans modération aucune de ces propos nocifs qui encouragent la désobéissance civile. Je suis déçue que votre chaîne se fasse le relais de paroles racoleuses et inexactes. ».
Ecrit-on aux journaux de la presse régionale ou locale pour s’émouvoir de la publication de photos représentant des plages bondées avec des personnes allongées sur des serviettes de plage ? Il est probable que non, pourtant de telles photos ont été publiées le week-end dernier et il est parfaitement légitime que nos confrères de presse écrite aient fait ce choix éditorial qui reflète une réalité. Tout comme il est parfaitement légitime de diffuser des propos très éloignés d’un civisme attendu en période de pandémie. Je développais cet argument ici il y a quinze jours : « Prendre parti pour ou contre une décision, décider si tel comportement est irresponsable, si telle attitude est raisonnable n’est pas dans le rôle du journaliste. Il doit avant tout être factuel dans sa manière d’interroger un choix - aller se confiner à la campagne lorsqu’on vit à Paris, se prélasser sur une plage sitôt leur accessibilité annoncée - il questionne celui qui a décidé d’agir ainsi en connaissance de cause, en assumant des responsabilités acceptées, des risques consentis.
Faire entendre cette parole n’est pas immoral. La radio, les médias généralistes, donnent à entendre différents points de vue, à chacun ensuite de se faire un avis. Et il y a autant d’avis qu’il y a de sensibilités. C’est un fait d’observation courante qu’il existe une grande diversité d’opinions touchant le permis et le défendu, le louable et le condamnable, le tout étant soumis aux fluctuations de la conscience collective. »
Dans cette Lettre, la journaliste Amaia Cazenave répond aux auditeurs : « Par honnêteté intellectuelle et même si j’ai conscience que ses paroles (NDLR : paroles de Nina) peuvent vous déranger ou vous heurter, je ne pouvais pas en faire abstraction dans mon reportage. Ces mots reflétaient une opinion qui ne pouvait pas être niée ou cachée. (…) Dans ce reportage diffusé le week-end dernier vous aurez noté qu’il y a aussi des personnes qui ont conscience que leur attitude n’est pas très responsable… Nous, journalistes, avons comme mission de relayer la diversité d’opinions, même lorsque ses témoignages peuvent se révéler impopulaires, à contre-courant, déplaisants ». L’intégralité de sa réponse est à lire ici.
Demain samedi 30 mai, dans le rendez-vous de la Médiatrice sur Franceinfo, nous aborderons cette question déontologique avec Benjamin Mathieu. Le reporter a sillonné la France pendant le confinement ainsi que la semaine dernière et il a recueilli sur le littoral, vendéen et de Loire-Atlantique des points de vue similaires à ceux entendus dans le reportage d’Amaia Cazenave.
Le journal de 12h30 sur France Culture
« Depuis longtemps fidèle à votre station, je suis vos émissions et journaux avec plaisir. Je voulais savoir pourquoi nous ne retrouvons pas votre journal de 12h30 ? ». France Culture reçoit régulièrement cette demande. Les moyens journalistiques de Radio France ayant été mutualisés pendant la crise sanitaire afin de prioriser les tranches d’information sur les radios généralistes du groupe (France Inter, Franceinfo et France Bleu), le journal de 12h30 de la chaine a été suspendu dès le début du confinement. « La 2ème phase du Plan de reprise de l’activité de Radio France, élaboré en lien avec les consignes gouvernementales, débutera le 3 juin, indique Vincent Lemerre, Délégué aux programmes de France Culture, nous avons bon espoir de vous proposer à partir de cette date votre rendez-vous d’information de la mi-journée. ».
France Culture rend hommage à Guy Bedos à travers les entretiens d’« A voix nue ». Durant ces cinq émissions, l'acteur, auteur et humoriste retrace sa vie de "mélancomique". « Faire du drôle avec du triste » selon son expression, au cinéma, au théâtre et au music-hall. Chez lui, dans l’intimité de son bureau, entouré d’innombrables photos, il se confie sur « un demi-siècle de one man show politique, à boxer sur scène les racismes et intégrismes contemporains, à brocarder ces puissants qui nous gouvernent. ». Truculent, orfèvre des formules ciselées dans ses revues de presse décapantes, Guy Bedos disait : « Il y a des gens qui ont des indignations sélectives. Moi, j’ai des indignations successives. ». Une formule que ne renieraient pas les auditeurs qui nous écrivent au sujet de l’usage de la langue française.
« Focus sur le mainstream »
Cette semaine leurs remarques lexicales portent essentiellement sur les anglicismes. Loin de valoriser celui ou celle qui l’emploie, un anglicisme traduit l’appauvrissement de la langue. Symbole d’une paresse de l’esprit, parfois d’un vide de la pensée, l’usage d’un anglicisme tente de faire passer pour une hypermodernité du discours un propos prétentieux et, en creux, une forme de snobisme. Pire, son emploi exclut l’auditeur comme en témoigne ce message : « Je remarque que très très souvent des mots anglais sont utilisés lors de débats ou autres émissions, je n'ai rien contre la langue anglaise mais je ne la connais pas, et c'est très gênant de ne pas comprendre l'intégralité de ce qui est dit. Serait-il possible de faire une traduction simultanée des mots étrangers employés ? ». Mis à l’index cette semaine : « green pass », « mainstream » « fake » « cluster » « performer », « testing », « digital ».
L’utilisation du mot « racisé »
Dans l’article « Violences policières : celles et ceux qui se reconnaissent dans les propos de Camélia Jordana » paru jeudi 28 mai sur le site de France Inter, des personnes ont été interrogées pour réagir aux propos tenus par la chanteuse Camélia Jordana sur le plateau de l’émission « On n’est pas couché » sur France 2 samedi 23 mai. Le terme « racisé », utilisé par les interviewé·es, a été repris dans l’article. Des auditeurs et des internautes ont reproché l’utilisation de ce terme. Stéphane Jourdain, rédacteur en chef numérique de France Inter, leur répond ici.
Intégralement consacré à la langue française la semaine dernière, cet édito a fait réagir un certain nombre d’auditeurs et nous publions ici une sélection de leurs messages dans la rubrique langue française. Des auditeurs et internautes de plus en plus nombreux à consulter « le site de la médiatrice » qui réalise un score de + 340% de fréquentation en un an. Je les remercie de cette interaction enrichissante, singulière, signe de la vitalité du lien unique que nous partageons avec vous dans cette Lettre à travers la publication d'une partie de vos nombreux messages. Merci à tous !
Bonne lecture,
Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes