Faut-il économiser l’eau comme on économise l’électricité ?

Faut-il économiser l'eau comme on l'a fait pour l'électricité ? ©Getty - manolo guijarro
Faut-il économiser l'eau comme on l'a fait pour l'électricité ? ©Getty - manolo guijarro
Faut-il économiser l'eau comme on l'a fait pour l'électricité ? ©Getty - manolo guijarro
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Les nappes phréatiques sont à sec. Après une période sévère de sécheresse hivernale, la France est en manque d’eau. Une pénurie qui impacte bien sûr l’agriculture mais également notre consommation individuelle. Comment mieux gérer notre consommation d’eau ?

Après une série de 32 jours ou presque sans pluie, la France connaît une sévère pénurie d’eau. Selon une étude récente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), 80% des nappes phréatiques présentaient des niveaux inférieurs à la normale en février 2023 dont 45% à des niveaux très bas. Une situation qui s’est “dégradée” selon eux.

En France, moins de 1% des eaux usées traitées sont réutilisées. C’est beaucoup moins que dans d’autres pays européens. Certaines communes françaises décident tout de même de réutiliser les eaux usées pour nettoyer les rues et entretenir les espaces verts. Mais peut-on généraliser cette pratique aux usages individuels ?

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La Métropole de Montpellier a misé sur une autre solution : depuis janvier, une nouvelle tarification de l’eau potable est instaurée. Ce système augmente les prix par tranches selon la quantité d’eau consommée. Une méthode “plus juste et plus solidaire” selon la Métropole.

Lors du dernier Salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron proposait un “plan de sobriété pour l’eau”. Elisabeth Borne devait présenter une cinquantaine de mesures cette semaine dans le but d’atteindre 10% d’économies en 2030.

  • Comment repenser notre consommation d’eau ?
  • Faut-il instaurer une nouvelle tarification de l’eau potable basée sur la consommation ?
  • Quelles mesures l’Etat peut-il mettre en place pour faire face à cette pénurie ?

Extraits de l'émission

Et si on gérait notre eau comme nous gérons notre électricité ? La sécheresse de l’été dernier et celle de cet hiver parle de notre usage. Souvent, on ne compte pas l'eau et on n'a aucune idée de sa valeur. Pourquoi ne pas veiller à mieux répartir l'eau en fonction des usages, mieux récolter les eaux de pluie, mieux colmater les fuites qui représentent une perte colossale ? Pourquoi ne pas payer en fonction de notre usage, calculer la consommation d'une famille, puis faire monter la facture dès lors qu'on remplit sa piscine ou qu'on lave sa voiture à grande eau, par exemple ? A-t-on besoin de laver les trottoirs avec de l'eau potable ? Savez-vous que moins de 1 % de nos eaux usées sont retraitées, alors qu’en Italie, c'est dix fois plus, en Espagne, c'est 20 fois plus, et en Israël, pays de soleil et de cailloux, c'est 80 fois plus. On appelle cette pratique la reut ou reuse.

Utiliser de l’eau potable pour les toilettes a-t-il encore un sens à l’heure des sécheresses hivernales et estivales ?

Nicolas Garnier délégué général de l’association Amorce, qui accompagne les collectivités et acteurs locaux en matière de transition énergétique, de gestion des déchets et de gestion durable de l'eau : « Une famille consomme 150 litres par jour, et seuls 5 % le sont pour des besoins de potabilité, pour boire l’eau. Les autres usages comme se laver, aller aux toilettes ne nécessite pas que l'eau soit potable. On peut imaginer, comme dans un certain nombre d'expérimentations, de ne pas utiliser de l'eau potable. Ce n’est d’ailleurs pas si difficile que ça. Si vous êtes un particulier, il y a toujours moyen de récupérer les eaux pluviales. Comme il existe un crédit d’impôt pour les fenêtres, Amorce défend l'idée qu'il y a un crédit d'impôt sur la récupération d'eaux pluviales. Pour l’habitat collectif, c’est plus compliqué puisque cela sous-entend la création d’un deuxième réseau d’eau, et donc une modification des infrastructures et de la réglementation. Mais avant cela, il y a déjà plein de façons d’économiser l’eau : vous pouvez mettre des mousseurs sur vos robinets, installer une chasse d'eau double vitesse, ne pas faire la vaisselle à la main… »

Quelle place occupe la consommation domestique dans la consommation globale d’eau ?

Nicolas Garnier : « Aujourd'hui, la France, pour fonctionner, a besoin de 32 milliards de mètres cube d'eau. Le premier poste de prélèvements d'eau, ce sont les centrales nucléaires qui prennent la moitié. C’est une consommation sur laquelle il y a peu d'économie d'eau possible. Et ensuite, on trouve à peu près au même niveau la consommation domestique dont on a parlé, le monde agricole et le monde industriel. »

L’économiste de l'environnement, spécialisée dans les questions de ressources en eau Esther Delbourg explique : « Si on remet l'usage domestique dans le contexte de l'usage de l'eau en général, l'agriculture et l'industrie, utilisent à peu 80 % de l’eau consommée, et les 20%, c’est notre usage domestique. Mais c'est important que nous revoyions nos usages à l'eau parce que souvent, on n'a aucune idée de la quantité d'eau qu'on utilise par jour. Si vous demandez à nos auditeurs aujourd'hui combien de litres d'eau ils utilisent par jour pour se laver, cuisiner, tirer la chasse d'eau, je pense que les chiffres seront bien en deçà de la réalité. 150 litres nous paraissent énormes. Il faudrait qu'on ait un moyen de connaître nos données quotidiennes ou hebdomadaires à travers des systèmes de notre consommation d'eau, comme on l'a pour l'électricité. Ce serait une première chose. Ensuite, on ferait attention à l'eau, chez nous, puis au travail… Cela rentrera dans nos esprits. »

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Faut-il plus réutiliser l’eau ?

La France est très en retard dans cette pratique. Pour Esther Delbourg : « C’est tellement simple d’ouvrir un robinet. Contrairement aux pays du sud comme l'Espagne, l’Italie ou Israël, chez nous, l’eau n’était pas un problème jusque-là. Si on n'avait pas d'eau, on avait de l'argent du capital pour pouvoir accéder à l'eau. La réutilisation est quelque chose de particulier. Il ne faut surtout pas la voir comme une nouvelle ressource qui s'ouvrirait à nous. Cette pratique doit être encadrée. Il faut savoir qu'une partie de la réutilisation, doit quand même être réinjectée dans la nature. La Seine peut survivre aujourd'hui parce qu'une grande partie des eaux qui la constituent sont des eaux réinjectées, que l’on a d’abord nettoyées. »

Nicolas Garnier le confirme : « La première solution, est d'abord d'économiser l'eau. Le reut n'est pas la solution miracle. Cela fonctionne si vous êtes en bord de mer, en récupérant l'eau, j'allais dire l'eau de pluie ou de la station d'épuration et vous la réinjecter dans les sols, vous évitez qu'elle aille à la mer. Mais faire du reut en plein milieu de la montagne a un intérêt un peu limité. »

Faut-il planter plus d’arbres ?

Dans notre pays, vous avez deux sortes d'eaux. La première, ce sont des eaux souterraines, et les nappes phréatiques. Aujourd'hui, leurs niveaux sont très faibles. Pour les recharger, il faut que les sols soient moins artificialisés Enlever le béton, enlever le goudron pour permettre à l'eau de circuler. Par exemple, la nouvelle gare de la Part-Dieu à Lyon a été conçue de manière à laisser pénétrer l'eau dans les sols.

Et la deuxième partie de l'eau est celle des rivières. La France consomme environ 80 % de l'eau des rivières et à 20 % à peu près de l'eau de nappes. On regarde les deux masses d'eau. Aujourd'hui, les rivières et les nappes sont vides à moitié. Il y a eu tellement peu de précipitations ces derniers mois, qu’il y a une grosse inquiétude pour les mois à venir. »

Faut-il moduler les tarifs ?

René Revol, maire de Grabels et président de la régie publique de l'eau à la métropole de Montpellier, témoigne : « Depuis le 1ᵉʳ janvier, chaque habitant a pour une année quinze mètres cube gratuits. En partant de l'idée que l'eau est un bien fondamental à la survie humaine et qu'il faut garantir l'accès à tous, y compris aux publics aux revenus les plus faibles, y compris les sans domicile fixe, en installant des fontaines publiques qui ont beaucoup disparu.

Au-delà de ces 15 mètres cube, on a mis en place une tarification progressive pour apprendre à tout le monde à économiser cette ressource fondamentale. Donc, de quinze mètres cube jusqu'à 120, on paye 0,95 € par litre, ce qui est déjà moins cher qu'avant. De 120 à 240, ça monte à 1,40€ et au-dessus de 240, c’est 2,70. On a regardé la consommation moyenne des ménages et on a trouvé que cela n'impactait pas tant les familles nombreuses, mais plutôt les gens qui lavent leur voiture chaque semaine avec une eau potable, ceux qui remplissent leur piscine. On l'a fait pour qu’une prise de conscience ait lieu. On attend de voir les résultats de cette nouvelle tarification. Mais depuis la sécheresse de l'été dernier, les comportements commencent à changer. »

La suite est à écouter...

Avec nous pour en parler

  • Esther Delbourg, économiste de l'environnement, spécialisée dans les questions de ressources en eau
  • Nicolas Garnier, délégué général de l’association Amorce, qui accompagne les collectivités et acteurs locaux en matière de transition énergétique, de gestion des déchets et de gestion durable de l'eau
  • Sandy Dauphin, spécialiste environnement à France Inter
  • René Revol, maire de Grabels et président de la régie publique de l'eau à la métropole de Montpellier

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