L’eau, bien public ou bien privé ? À la source de la discorde : épisode • 3/3 du podcast Histoires d'eau

Série de bouteilles d'eau minérale parmi les plus grandes marques du XXe siècle ©Getty - Fairfax Media Archives
Série de bouteilles d'eau minérale parmi les plus grandes marques du XXe siècle ©Getty - Fairfax Media Archives
Série de bouteilles d'eau minérale parmi les plus grandes marques du XXe siècle ©Getty - Fairfax Media Archives
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Tout au long du 19e siècle, les eaux courantes ne sont pas gérées par l’État et font l’objet d’un long vide juridique. Comment les ingénieurs, les médecins, les magistrats et les propriétaires privés ont-ils pris le relais et assuré la gestion et la distribution de l’eau aux 19e et 20e siècles ?

Avec
  • Nicolas Marty Historien, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Perpignan
  • Alice Ingold Historienne, maîtresse de conférences à l’EHESS, spécialiste d’histoire environnementale contemporaine

Le 4 juillet 1896, Léon Ruyer, avocat à la Cour d'appel de Nancy, soutient sa thèse pour l’obtention du doctorat de droit français. Elle est sobrement intitulée : Des eaux de source. Son étude débute ainsi : "Les eaux de source sont très précieuses. Elles embellissent le pays où elles jaillissent et s’écoulent, servent à la satisfaction des besoins journaliers de ses habitants et sont un agent très actif de la production agricole : elles sont également fort utiles à l’industrie et contribuent à la formation et à l’alimentation des cours d’eau. Aussi ces eaux sont-elles, partout où elles existent, extrêmement disputées. Leur propriété et leur possession ont été l’objet de nombreux et difficiles procès !". Entre abondance et pénurie, à qui appartient l’eau ?

L'eau, un bien pour tous ?

Dans la France postrévolutionnaire, le concept de propriété est à réinventer. Les collectifs d’Ancien Régime sont devenus synonymes d’assujettissement des personnes entre elles et d’ennemis des personnes individuelles, ce qui encourage à repenser la notion de bien public, notamment en ce qui concerne les ressources naturelles.

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L’eau est-elle un bien public ou privé ? Qui doit en assurer la gestion ? Les pouvoirs publics du XIXe siècle opèrent une distinction entre deux types de cours d’eau : les navigables, et les autres. Les premiers font partie du domaine public et sont gérés par l’État. L'historienne Alice Ingold raconte que "pendant près de cent ans, après la Révolution jusqu’en 1898, date à laquelle on trouve la première loi nationale sur l’eau, il est difficile de savoir à qui appartiennent ces cours d’eau, et surtout, qui doit les entretenir [...]. Au XIXe siècle pourtant, de nouvelles problématiques essentielles quant à l'usage de l'eau surviennent, obligeant l'État à se positionner sur la question."
En pratique, les eaux courantes en revanche sont gérées par les propriétaires privés. Cette gestion à deux vitesses implique encore d’autres acteurs, parmi lesquels les magistrats, chargés d’arbitrer dans une situation de flou juridique, mais aussi les ingénieurs des Ponts et Chaussées qui continuent de développer une abondante "littérature hydraulique", et surtout les propriétaires qui se structurent en associations afin d’organiser des modes de gestion commune de l’eau.

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Faciliter l'accès à l'eau par la bouteille

Parallèlement, le marché de l’eau en bouteille se structure et se développe. L'historien Nicolas Marty revient sur ses origines : "La bouteille apparaît très tôt, dès les XVIIe et XVIIIe siècles, il existe une circulation de bouteilles qui pour la plupart sont composées de grès. Mais au XIXe siècle, il s’agit d’une véritable émergence de l’eau embouteillée industrialisée, qui débute dans les années 1850 au Royaume-Uni. Elle s’exporte plus tardivement en France, en Belgique, en Allemagne ou en Italie après les années 1870".
Au XIXe siècle, ce marché est encore étroitement lié aux vertus thérapeutiques prêtées à l’eau. La vente de bouteilles est pensée comme une manière d’exporter un médicament vers ceux qui n’ont pas les moyens ou la possibilité de s’offrir des cures thermales. Ce marché connaît un véritable essor au XXe siècle, soutenu par le développement de la publicité et du marketing. Toutefois l’eau en bouteille ne s’impose comme un produit de consommation de masse qu’à partir des années 1960.

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission…

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Pour en parler

Alice Ingold est maîtresse de conférences en histoire à l’EHESS, spécialiste d’histoire environnementale contemporaine.
Elle a notamment publié :

Nicolas Marty est professeur d’histoire contemporaine à l'Université de Perpignan.
Il a notamment publié :

Références sonores

  • Archive de René Dumont sur le manque d'eau, Campagne électorale officielle : élection présidentielle 1er tour, 19 avril 1974
  • Extrait du film Manon des sources par Claude Berri, 1986
  • Archive d'un reportage sur le village de Rencurel, Rencurel dans le Vercors, un village qui n'a pas l'eau courante, 15 février 1977
  • Lecture sur la ville thermale de Plombières, Lorraine soir, 3 mai 1969
  • Archive au sujet d'une restauratrice qui facture la consommation d'eau, Inter actualités, 13 juin 1979
  • Chanson L'Eau vive de Guy Béart, 1958
  • Sketch "L'eau ferrugineuse" ou "La causerie du délégué de la ligue anti-alcoolique" par Bourvil, Les joies de la vie, 24 novembre 1959
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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