La vague actuelle de déboulonnage des statues se manifeste avec une grande violence et provoque en réaction des protestations non moins chargées en émotion. Bertrand Tillier s'interroge sur la portée de ces conflits de mémoire depuis la Révolution.
- Bertrand Tillier
Un œil myope pourrait s’y tromper et faire croire inédite l’effervescence qui entoure, ces temps-ci, la question de la force symbolique des statues qui sont installées dans l’espace public. La remise en cause, un peu partout, de nombreux personnages du passé qu’on a immobilisés, jadis ou naguère, dans la pierre ou dans le bronze est impressionnante, et elle se manifeste souvent avec une grande violence, une violence destinée à provoquer en face, par réaction, des protestations non moins chargées de passion.
Or, il se trouve que les mouvements collectifs qui entourent les statues, que ce soit pour les célébrer ou pour les détester, pour les protéger ou pour les détruire, sont bien antérieurs à notre siècle. On rencontre ces émotions depuis longtemps : lors du choix des figures honorées et de l’emplacement des monuments, lors de la cérémonie et des discours entourant leur inauguration et non moins lors des épisodes multiformes de leurs destructions. Des controverses se sont souvent déployées, depuis belle lurette, en ces occasions.
Mais il est vrai que notre actualité pose la question avec une vigueur renouvelée. On constate les conséquences impérieuses, dans ce domaine, de la modification des sensibilités collectives, des valeurs dominantes et du regard rétrospectif jeté sur le passé.
Bertrand Tillier, professeur à l’université de Panthéon Sorbonne, s’est attaché, dans un bel ouvrage récent, à ces conflits de mémoire depuis la Révolution. Autour d’une interrogation permanente : celle de la légitimité, pour des raisons morales ou civiques, d’effacer les particularités du passé en plaquant sur elles des considérations contemporaines, quitte à perdre le sens de la profondeur de champ et à promouvoir ainsi l’ignorance de l’Histoire dans sa plénitude. Dénoncer et oblitérer, ou bien expliquer et compenser : voilà bien un dilemme qui est de vaste dimension civique.
ARCHIVES DIFFUSÉES
- Dans notre générique : André Malraux pour l'inauguration de la statue de Ricardo Palma dans le square d'Amérique dans le 17e arrondissement à Paris, le 17 février 1960.
- Lettre de Voltaire à Madame Necker datée de mai 1770, lue par Claude Dauphin.
- Inauguration de la statue équestre du Maréchal Foch sur la Place du Trocadéro à Paris, journal "Les Actualités françaises" du 15 novembre 1951.
- Interview du dessinateur et sculpteur Tim à propos de sa statue du capitaine Dreyfus (choix difficile de l'emplacement), diffusée dans l'émission "Lieux de mémoire" de Stéphane Bou sur France culture, le 17 avril 1997.
- Déboulonnage à Moscou de la statue du fondateur du KGB (témoignage d'Igor Vassiliev), journal parlé de France Inter du 23 août 1991.
- Reportage de Grégory Philipps aux États-Unis où l'on déboulonne des statues de généraux confédérés opposés à la fin de la ségrégation, journal de France Inter du 4 juin 2020.
BIBLIOGRAPHIE
- Bertrand Tillier, La disgrâce des statues. Essai sur les conflits de mémoire, de la Révolution française à Black Lives Matter, Payot, 2022.
- Jacqueline Lalouette, Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes (1804-2018), Mare et Martin, 2018.
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