Épisode 7 : Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou, l’autodidacte

Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou ©Radio France - Atelier graphique Radio France/ Fabienne Guevara
Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou ©Radio France - Atelier graphique Radio France/ Fabienne Guevara
Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou ©Radio France - Atelier graphique Radio France/ Fabienne Guevara
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Surnommée la "pianiste nonne", l'éthiopienne Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou n'était pas qu'interprète. Elle a surtout marqué la seconde moitié du XXe siècle grâce à ses compositions. S'y mêlent son héritage classique occidental et des inspirations venues des chants orthodoxes éthiopiens.

Au début des années 1960, l’Ethiopie vibre au son d’une musique nouvelle. Un mélange de jazz, de big band, de musiques traditionnelles, de soul, de funk fait danser les foules dans les bars d’Addis-Abeba, la capitale. On donnera plus tard un nom à cette musique : l’éthio-jazz. Mais dans les années 1960-1970, seules les personnes qui vivent à Addis-Abeba ont le privilège d’écouter ces nouveaux sons, d’entendre ces voix qui portent l’éthio-jazz à l’image de Mahmoud Ahmed, Mulate Astatke, Gigi Shibabaw ou encore Alemayehu Eshete.

Toutes ces musiques arriveront plus tard en Occident, à la fin des années 1990, grâce à une série de disques intitulés Ethiopiques menée (entre autres) par le musicologue français Francis Falceto, dénicheur de pépites. On y retrouve de l’éthio-jazz, des musiques traditionnelles, des joueurs et des joueuses de krar, instrument typique de l’Ethiopie et de l’Erythrée, des grandes voix, du blues, des orchestres… En tout, Ethiopiques c’est 30 albums de trésors de la musique éthiopienne.

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La reine du piano en Éthiopie

Dans cette collection l'album numéro 21 n’est pas comme les autres. La musique que l’on y entend est inqualifiable. 16 titres de piano solo. Ce n’est ni du jazz, ni du classique, ni de la musique sacrée, ni de la musique traditionnelle éthiopienne, mais un peu tout cela à la fois. On y découvre notamment Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou, surnommée la reine du piano en Éthiopie.

La pianiste est née en 1923 à Addis Abeba dans une famille riche, fille d'un homme politique haut placé. À l’âge de 6 ans, elle est envoyée avec sa sœur en Suisse pour étudier. Fascinée par la musique classique occidentale lors d’un concert, elle décide alors de suivre des cours de violon et de piano. Dès qu’elle en a l’occasion, elle va pianoter et commence déjà à imaginer ses propres compositions. Mais son séjour suisse sera de courte durée, après quelques années, elle retourne dans sa ville natale où elle commence à se faire connaître en tant que musicienne. Elle joue devant l’empereur Haïlé Sélassié et l’impératrice Menen Asfaw. Son niveau de vie parmi les plus aisés du pays lui accorde de nombreux privilèges. Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou devient la première femme à travailler en tant que secrétaire dans un ministère.

Et puis tout bascule... Les troupes mussoliniennes attaquent l'Ethiopie en octobre 1935. Deux proches d’Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou sont tués dans ce conflit. La famille décide de fuir et s’installe dans le nord de la Sardaigne. Après la guerre, Emahoy se retrouve au Caire, en Egypte. Là-bas, le violoniste polonais Alexander Kontorowicz lui donne des cours, et tous les jours, elle pratique son violon et son piano. Le séjour en Égypte prend fin en 1944 quand la musicienne tombe malade, mais elle parvient à décrocher une bourse pour deux années d’étude à la Royal Academy of Music de Londres. Une chance inouïe de pouvoir enfin toucher du doigt son envie folle de devenir pianiste concertiste, mais jamais ce rêve ne se réalise malheureusement. Quand la journaliste de la BBC Kate Molleson, une des rares personnes qui a pu interviewer cette grande dame de la musique, la rencontre à Jérusalem dans son couvent en 2016, elle ne parvient pas à savoir pourquoi la pianiste n’a jamais pu aller à Londres. Elle recueille cependant le désespoir d’une jeune femme au rêve brisé.

Le grand tournant : la vie de religieuse

S'opère alors un tournant radical. À 23 ans, l’Ethiopienne rejoint le monastère de Guishen Mariam dans la province du Wello, une région reculée du pays et se fait nonne. Elle prend son nom connu d’artiste : Emahoy Tsegué Maryam Guèbrou. La religieuse vit pieds nus, dans un dénuement total. Il n’y a pas d’eau courante ni d’électricité dans le monastère, juste la prière et le recueillement. Plus de piano ni de violon, jusqu’à ce qu’elle tombe malade. Trop affaiblie, elle retourne vivre chez ses parents à Addis-Abeba et replonge dans la musique. C’est dans cette période qu’elle se met à composer. À travers ses premières mélodies pour le piano, on entend son héritage classique occidental, sa découverte des chants orthodoxes éthiopiens, et d’autres influences encore qu’elle parvient à mélanger comme si tout se rencontrait sur une même partition.

Devenant professeur, elle apprend et enseigne la musique orthodoxe éthiopienne tout en continuant de vivre pleinement sa vie de religieuse. Confrontée à la pauvreté dans son pays, elle se demande comment aider les plus démunis. On lui souffle alors l’idée d’enregistrer sa musique et de donner l’argent des ventes à des associations. En 1963, elle part donc en Allemagne pour graver ses compositions.

La pianiste éthiopienne passe la fin de sa vie dans un monastère à Jérusalem. Dans sa petite chambre, on retrouve un piano, des drapeaux éthiopiens, des partitions manuscrites et un portrait de l’empereur Haile Selassie. En décembre 2023 elle aurait fêté ses 100 ans, mais elle s’est éteinte paisiblement le 27 mars à l’âge de 99 ans.

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Programmation musicale

Emahoy TSEGUÉ-MARYAM GUÈBROU

  • **Tashamanalech, extrait de l'album Ethiopiques box. 7"
    Label Heavenly Sweetness 2017
  • Mother's love / Ballas of the spirits / The mad man's laughter, extrait de l'album Ethiopiques - Ethiopia Song
    Label Buda Musique 1996
  • Sondéferi, extrait de l'album Ethiopiques - Jump to Addis

Johann STRAUSS fils

  • Sang viennois op. 354
    Bruno Walter (piano)
    Label Walter 1978

Emahoy TSEGUÉ-MARYAM GUÈBROU

  • The Jordan River Song, extrait de l'album Ethiopiques - Ethiopia Song
    Label Buda Musique 1996

Musique, nom féminin

Une série écrite et produite par Aliette de Laleu
Réalisée par Lionel Quantin
Avec la collaboration d' Aude Vassent (INA)
Avec le partenariat du CNM (Centre national de la musique)

L'équipe

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