« Roald Dahl, Ian Fleming, Godard… Faut-il adapter les classiques à leur époque ? » Le débat de ce 10 mars sur France Culture avec Tiphaine Samoyault, essayiste, traductrice et critique littéraire, directrice d’études à l’EHESS et Marc Weitzmann, journaliste, écrivain, producteur de Signes des Temps sur France Culture, a fait réagir les auditeurs :

Merci pour votre ardeur et votre esprit critique. Je suis inquiète de cette nouvelle sensiblerie dans la littérature quand la vie quotidienne nous offre beaucoup plus de violences et de bêtises que les livres. D’autre part, mes enfants et moi avons lu Roald Dahl et beaucoup ri, mais aussi le merveilleux livre “La valise d’Hannah”, vu “Le Dictateur” de Chaplin, “To be or not to be”, “Le journal d’Anne Franck” et plus tard “Nuits et brouillards”… Tant de supports pour « rétablir la vérité ». La littérature nous offre donc le moyen de développer notre sensibilité, notre esprit critique. On doit parler des choses, attendre du passé littéraire, historique qu’il nous donne matière à éduquer, à éveiller la conscience aux autres dans leur altérité, à la nature, au bien ou beau, se confronter à la différence avec ce que nous connaissons et pensons universel.
Cette censure déguisée, cette bien-pensance crée de plus en plus une « irritation » chez les personnes qui ont l’impression qu’elles ne peuvent plus dire ce qu’elles pensent et qui s’auto-censurent (et c’est dangereux) et deviennent encore plus « radicales », il me semble.
Eh bien moi, je préfère entendre ce qui sera pour moi une horreur pour dire :
1) que je ne suis pas d’accord haut et fort,
2) donner des arguments probants,
3) voire – cela m’est arrivé, ne plus jamais être invitée, mais sortir la tête haute. J’ai beaucoup appris de ces mouvements de « wokisme » ou cancel culture, de Judith Butler, de mes enfants, aussi et je pense qu’il est important de relire ces écrits à la lumière de l’esprit de notre temps et éveiller la conscience des gens sur les biais inconscients mais bientôt nous ne pourrons plus le faire avec cette tabula rasa…tout aura disparu. Où trouverons-nous le matériel qui permettra d’éduquer ? A-t-on oublié la Préface, les notes de bas de page, l’avertissement au lecteur comme au cinéma ? Sur Netflix, Disney+, nous lisons avertissements sur la consommation de tabac, les scènes qui peuvent choquer…etc.
Je vous remercie si vous avez pris le temps de lire ce message.
J’espère avoir été claire, je ne suis pas écrivain et je ne voudrais pas qu’il y ait confusion mais je suis inquiète de ce que je considère être une nouvelle forme de censure.

Un immense merci à Marc Weitzmann pour ses interventions ce matin. On en a assez des discours actuels sur la culture soi-disant élitiste, assez de cette idéologie qui, sous prétexte d’être égalitaire, détruit la culture et dénie aux gens la capacité de penser par eux-mêmes. Merci aux véritables esprits critiques qui n’ont pas peur de se colleter avec la réalité.

Pour ma part, je dirai que NON, on ne doit pas et on n’est pas légitime pour réécrire des œuvres, quels que soient les messages et idées diffusés dans le contexte d’une époque.
Les œuvres sont en effet le témoignage historique d’une époque, d’une façon de penser… et je suis d’accord avec Marc Weitzmann qui qualifie cette entreprise de « débile » ; il suffit de contextualiser les écrits, les mettre en perspective comme aurait dit Marguerite Yourcenar qui aurait certainement été choquée par ces inepties. À l’image de la cancel culture et du « wokisme » ??? Faut-il se battre la coulpe pendant 150 ans pour demander pardon ?
Que dire de la chronologie. Et quelle hypocrisie ? C’est considérer les lecteurs comme des masses incultes qui n’auraient pas de sens critique. Comme le dit Guillaume Erner, on peut donner des explications en bas de page…

J’ai été sidérée, consternée, d’entendre Tiphaine Samoyault déclarer qu’elle se réjouissait de n’avoir pas à enseigner la littérature du 19ème siècle au motif que ces romans ne correspondent plus aux valeurs d’aujourd’hui ! Et c’est une prof d’université qui dit ça ! Puis-je faire remarquer à madame Samoyault que c’est faire injure à l’intelligence des étudiant-e-s ou des simples lecteurs-lectrices : ils/elles ne sont pas capables de voir qu’ils/elles sont en train de lire une œuvre d’une époque passée ? Autant réécrire l’histoire à ce compte !
Autre remarque : effacer les mots “grosses” ou « crasseux » dans un roman destiné à la jeunesse efface-t-il la réalité ? Une dernière question : tous les romans doivent-ils se conformer aux règles de la « feel good litterature » comme on dit en bon français ? N’y a-t-il pas de place pour des littératures diverses et variées ? Je m’arrête là, ce serait trop long de répondre à votre invitée et je n’ai ni le courage ni le temps de réécouter l’émission mais je suis inquiète pour l’université !

J’écoute votre émission, je suis très surpris qu’il soit jugé légitime de réécrire des textes littéraires, ou autres.
Imagine-t-on réécrire les philosophes grecs sous prétexte qu’ils prétendaient que la terre était plate ? Réécrire Mein Kampf sous prétexte de l’Holocauste ? Sartre et Céline sous prétexte que… ? Etc…
C’est effectivement une attitude de dictature, et que penseront nos enfants et petits-enfants de ces corrections, et de notre époque qui n’est pas capable de comprendre le contexte et les sensibilités d’une époque ?

Marc Weitzmann a été fort pertinent et comme toujours passionné, intègre et authentique, animé d’un regard éthique (différent de moral). Cela contrairement à l’autre invitée, Tiphaine Samoyault, souvent de mauvaise foi, à l’argumentaire faillible en plusieurs points. La disputatio en aurait été facile en ayant plus de temps. Le mot de la fin de Marc Weitzmann a parfaitement résumé le problème posé par ce mouvement de réécriture, de censure. Comme l’on sait, pour employer une expression triviale, néanmoins vraie : l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Le débat “Faut-il adapter les classiques à leur époque ?” a été pour moi passionnant, profond et… glaçant. L’argumentaire de Madame Samoyault m’a semblé d’une fausseté redoutable. Oui, il était pertinent d’évoquer Orwell et une certaine définition du totalitarisme, sans doute la plus pertinente. Et il s’agit d’aujourd’hui, du présent (et du futur que l’on construit). Merci à Marc Weitzmann de son argumentation, polie, claire, et sans concession. Cet échange radiophonique est important, et « à partager ». Ce que j’ai fait.

Merci pour votre débat sur la « réécriture ».
100% d’accord avec les arguments développés par Marc Weitzmann.

Merci Marc Weitzmann pour vos propos lors de cette émission. Comme il est étrange ce mot d’offense alors que si j’ai bien compris, il s’agit purement (je pèse ce mot) et simplement (idem) de modifier l’œuvre, on l’efface, on la…fait disparaître. Depuis quand seul le premier degré dirige tout ? Finalement je suis très offensée par les propos de Tiphaine Samoyault. Enfin quoi ! Je me sens si offensée ! Merci pour vos émissions.

Cher Monsieur Weitzmann,
Merci pour votre intervention de ce matin dans l’émission de Guillaume Erner face à la complaisante Tiphaine Samoyault. Celle-ci s’est montrée d’une démagogie choquante en se réservant la littérature transgressive (« celle que je préfère ») et laissant au vulgum pecus la littérature réécrite pour convenir aux « valeurs » présentes, cela en jouant constamment d’un confusionnisme délibéré (Racine aurait réécrit les classiques grecs ! Dahl aurait réécrit les contes, la traduction a toujours réécrit, etc.) et en faisant passer le « prétentisme » avéré de sa position pour une recherche d’ « historicisation »… Que cette personne soit enseignante à l’EHESS et démissionne d’avance devant ses tâches d’enseignement justement, voilà qui est des plus inquiétants.
Je crois – au passage – que vous avez commis une erreur en évoquant une pratique de la réécriture « morale » à l’époque soviétique : on a publié en URSS les œuvres complètes de Pouchkine, Gogol, Tchékhov et bien d’autres (George Sand ou Shakespeare aussi bien – traduit par Pasternak) sans intervenir dans les textes. D’ailleurs Marx et Engels sur Balzac ou Sue, Schiller et autres (puis Lénine sur Tolstoi) ont précisément énoncé un certain nombre de principes quant aux classiques dont feraient bien de s’inspirer les « censeurs » actuels. On se bornait à ne pas éditer certaines œuvres. En revanche on demandait aux productions nouvelles de se conformer aux valeurs du jour.

Je suis proprement choqué par les propos de votre invitée de ce matin. Réécrire les classiques ? Porte ouverte aux totalitarismes, autant de petits autodafés.
Pour autant je ne suis pas d’accord avec Marc Weitzmann lorsqu’il énonce qu’il est « débile » d’être écœuré par une œuvre. J’ai lu assez récemment “Voyage au bout de la nuit”, et oui j’ai été écœuré. Pour rien au monde je n’aurais souhaité que cette œuvre soit réécrite. Chaque œuvre de l’esprit est témoin de son temps et en offre l’éclairage avec le recul de l’histoire. Contextualisé cela permet d’apprécier le chemin parcouru, avec ses allers, et retours…
Réécrire les classiques ? Écrire l’histoire en cours en espérant pouvoir devenir les témoins de demain me semble une énergie bien mieux employée.

Les propos de votre invitée Tiphaine Samoyault sont tout simplement scandaleux : il est très (très) inquiétant d’entendre ces censeurs, de surcroît Directrice d’instituts reconnus, avoir un levier sur des textes certes douteux mais fondateurs.
Ne lisez pas si cela ne vous plaît pas, mais ne laissez pas ces nouveaux censeurs abreuvés d’idéologie anglo-saxonne wokeuse balafrer le passé, comme l’on fait d’autres avant, à l’aune de leur moraline inconstante et à équation variable. Je commence ma journée de bibliothécaire, écœuré.

J’ai écouté avec intérêt la deuxième partie du débat de ce matin sur les « réécritures de sensibilité ».
Très surpris par le point de vue de Tiphaine Samoyault. Plutôt d’accord avec M. Weizmann. Mais je pense que le problème était mal posé, il faudrait prendre des exemples précis.

1) Le cas de Dix petits nègres (Ten little niggers). Un éditeur anglais réédite cet ouvrage sous le titre They were ten, dans le but d’éliminer le mot « nigger », considéré comme une insulte.
a) A-t-il le droit légal de le faire ? Apparemment oui, avec l’accord des ayants-droit.
b) A-t-il le droit « moral » de le faire, si on se place du point de vue du droit d’auteur ? Je suppose que oui, légalement, puisque les ayants-droit détiennent le droit d’auteur.
Mais par rapport à ce qu’est la littérature ? Je suppose qu’il s’agit d’un coup de force commercial inacceptable du point de vue du droit d’auteur ? Un éditeur français catholique conservateur pourrait-il éditer Emma Bovary, livre qui n’a plus d’ayants-droit, sous le titre Le Triste Destin d’une femme adultère ? Parce que ce livre pourrait blesser des lecteurs catholiques traditionnels, qui le liraient par mégarde.
c) cette édition adaptée (puisque le titre est changé) a-t-elle lieu subrepticement, ou bien l’adaptation est-elle explicite in situ, c’est-à-dire dans le livre lui-même ? Est-ce qu’il est indiqué dans la partie « Informations éditoriales » que le titre originel est « Ten little niggers » ? Ou bien, la sensibilité des lecteurs potentiels est-elle trop sensible pour supporter la présence du mot « nigger », même en tous petits caractères ?
d) qu’en est-il du mot « nigger » (qu’on ne peut semble-t-il plus écrire que « n. » aux États-Unis, pour se marquer comme antiraciste) ? Il est clair que dans l’énoncé « Ten little niggers », ce mot n’a rien d’une « insulte ».
Est-ce qu’un lecteur noir (catégorisation assez comique en soi) est (ontologiquement) trop con pour comprendre que le mot « nigger » n’a pas forcément le sens d’une insulte ? Qu’Agatha Christie ne lui donnait pas un sens insultant ? Est-ce qu’un lecteur noir est (par essence) forcément stupide au point se focaliser sur la suite N I G G E R, sans voir le contexte, et pour être « blessé » par cette suite de caractères (réagissant comme une Intelligence Artificielle à qui il a été indiqué que la suite de ces cinq caractères est un des avatars du MAL). Est-ce que tout ça ne connote pas une forme de racisme envers les noirs ?
Est-ce que, en réalité, il ne s’agit pas d’un coup de force des militants woke, noirs ou blancs, ou d’autres catégories, pour « rabattre le caquet » aux « blancs », et à cette « blanche » qu’était Agatha Christie ? En réalité, ils se foutent probablement des lecteurs noirs, ils instrumentalisent leurs supposées « blessures » (potentielles) pour imposer leur pouvoir dans ce domaine de la culture.

2) Mme Samoyault dit que « si on veut que les gens lisent certaines œuvres (Mark Twain, Roald Dahl), il faut les adapter au goût du jour ». Je signale à Mme Samoyault que la Bibliothèque verte propose depuis longtemps des versions de classiques adaptés à la lecture des enfants (David Copperfield, par exemple). C’est clair.
Il convient donc de créer maintenant une collection spécifique « Œuvres adaptées aux lecteurs sensibles » (adultes mais cons).
Mais dans le cas de Ian Fleming, il ne s’agit pas de cela. Je suppose que Fleming est encore lu, effectivement, par des gens qui veulent se distraire. Et selon elle, il convient que ces gens, qui ne font pas partie de l’élite (encore un petit coup de mépris de classe), ne soient pas confrontés à des passages où s’exprimerait par exemple le racisme de Fleming. Ou son machisme, ou sa misogynie, ou je ne sais quoi encore (je n’ai jamais lu aucun de ses livres, mais je crois que je vais essayer, dans la version originale !).
Il faut avouer que c’est une drôle de conception de la littérature, car, désolé, la saga de James Bond fait partie de la littérature, quoi qu’elle en pense.
Il y aurait bien d’autres choses à dire.

Est-ce que c’est possible d’entendre sur France Culture quelqu’un qui veut réécrire des grands classiques car, tellement inculte, elle n’est pas capable de réaliser son sens historique tout en faisant croire que c’est ce qu’elle fait ???!!! C’est de la dénégation. Alors oui il faut dire que ce phénomène existe, mais peut-on leur donner la parole sur France Culture ? C’est un peu raide quand même.

Merci d’avoir donné la parole à M. Marc Weitzmann qui a fustigé le moralement correct dans l’édition et l’éducation.
Je relève à tort ou à raison que son vis-à-vis brocardait les préjugés du XIX e siècle sans vraisemblablement percevoir qu’en militant pour la généralisation de normes morales elle rétablit les censures avec une bonne conscience qui fait l’impasse sur toute recherche de vérité au motif que chaque époque a ses schémas mentaux.

Excellent sujet ce matin, réécrire ou pas les œuvres littéraires. Je pense qu’il manquait deux angles à la discussion :
-l’angle historique : si on réécrit des passages pour être plus conformes aux valeurs du temps, ne réécrit-on pas l’histoire ? Et en retour ne risque-t-on pas de dénaturer des positions politiques, des partis politiques, qui s’appuient sur des auteurs, alors qu’on les aura tiédis ?
-l’angle économique : les maisons d’édition ont-elles un intérêt en re-rentabilisant des œuvres passées ?