Philippe Rey directeur de la rédaction de Franceinfo est au micro d’Emmanuelle Daviet

Emmanuelle Daviet : Des auditeurs s’expriment sur le traitement éditorial de cette actualité. Deux thématiques se dégagent nettement dans leurs courriels :

Premier constat : la réforme semble déjà actée pour les journalistes :
un auditeur écrit : « Je suis très étonnée que les journalistes de Franceinfo présentent régulièrement le projet de réforme des retraites comme un fait acquis en utilisant des formules telles que « les Français devront travailler plus ». En présentant la réforme comme un fait acquis, on peut considérer que c’est un traitement tendancieux de nature à décourager les auditeurs opposés à ce projet. « 
Et puis un autre auditeur s’interroge sur le fait les journalistes emploient toujours le futur et pas le conditionnel. » Il faudrait leur rappeler que la loi n’étant toujours pas votée, il faut employer le conditionnel. Le futur nous incite à croire que tout est déjà joué. Ce qui n’est pas le cas. »
Philippe Rey, comment recevez-vous ces remarques ?

Philippe Rey : Il faut rappeler d’abord, et c’est utile de le faire, que les journalistes restent des journalistes et naturellement, ils ne se substituent pas à la loi ou au parcours de la loi avant son application. Le calendrier, on le connaît. Présentation de ce projet de réforme lundi prochain, le 23. Il y aura ensuite une discussion à l’Assemblée le 6 février. Et d’ici là, nous avons, nous, l’obligation, bien sûr, d’expliquer ce projet de réforme de façon multilatérale, en essayant de recueillir tous les points de vue de tous les acteurs et en rentrant aussi directement dans le corps du texte, parce qu’il faut savoir de quoi on parle. Pour nous, rien n’est joué à l’heure où on en parle, puisque tout le monde le rappelle, d’ailleurs, c’est peut être maintenant que tout commence.

Emmanuelle Daviet : La seconde remarque formulée par les auditeurs concerne la pluralité des points de vue. Deux tiers d’auditeurs qui nous écrivent considèrent qu’ ils n’entendent que des avis opposés à cette réforme, un tiers estime que seules les voix favorables à la réforme des retraites sont données à entendre.

Comment arbitrer vous les points de vue pour évoquer une réforme contestée ? Une rédaction est-elle vraiment obligée de faire du 50/50, une voix pour, une voix contre, ou est-ce plus subtil que ça ?

Philippe Rey : Alors une rédaction est obligée et c’est vraiment une obligation formelle que nous nous fixons de donner la parole à tous, ça, c’est invariable. Il faut donner la parole à tous les acteurs de ce sujet, que ce soit des politiques ou que ce soit des syndicalistes, bien entendu. Et puis aussi et surtout, j’allais dire, aux premiers concernés, c’est à dire les Français, les Français qui travaillent parce qu’ils seront bientôt concernés par la retraite, les retraités également, parce qu’ils ont intérêt à savoir ce qui les attend. Et puis également les jeunes. Je remarque malgré tout que les jeunes aujourd’hui, est-ce que c’est parce qu’il y a une modification de leur rapport au travail, sont aussi intéressés par ce texte. On l’a vu cette semaine avec cette très forte mobilisation. Les pour et les contre s’en saisissent et nous, à France Info, nous les écoutons. Je rappelle d’ailleurs que nous avons reçu Elisabeth Borne, la Première ministre. Olivier Véran, le porte parole du gouvernement, et qu’à chaque fois, nous avons décidé d’ouvrir le Standard pour entendre précisément toutes les questions et pas seulement les questions des internautes, mais les questions des Français. J’ajoute que cela a eu d’ailleurs un réel succès.

Emmanuelle Daviet : Alors, on l’entend. La rédaction de FranceInfo attentivement cette actualité liée à la réforme des retraites, vous étiez présent sur le terrain jeudi pour couvrir la mobilisation à travers toute la France. Quel va être désormais votre dispositif pour suivre l’évolution de ce dossier majeur ?

Philippe Rey : Eh bien de suivre précisément ce qui va se passer et essayer, comme nous l’avons fait également dans la semaine, de ne pas se limiter simplement à l’examen de la manifestation parisienne, mais de regarder dans les villes en région des villes moyennes. Nous étions par exemple à Laval, où nous avons passé 48h pour essayer de savoir, avec les catégories socioprofessionnelles concernées comment recevaient-ils ce texte ? De continuer comme nous l’avons fait, parce que je pense qu’il y a là aussi un nécessaire devoir d’explication et d’information. De continuer, par exemple, à monter entre guillemets avec la cellule du vrai, du faux qui fait un très bon travail, ces explications qui sont utiles pour connaître le projet dans sa globalité, son projet qu’il faut expliquer et qui est parfois assez difficile à expliquer. Donc suivre cet agenda.

Emmanuelle Daviet : Un mot pour finir au sujet du comptage des manifestants. On observe qu’à chaque manifestation, il y a un décalage entre les chiffres donnés par les organisateurs des manifestations et ceux donnés par les autorités, notamment les préfectures. Nous en avons encore eu une illustration jeudi puisque la CGT a affirmé que plus de 2 millions de personnes ont manifesté tandis que le ministère de l’Intérieur a comptabilisé 1 million de manifestants.
Alors depuis quelques années, pour bénéficier d’un comptage indépendant, plusieurs médias ont recours aux services du cabinet Occurrence qui dispose de techniques de comptage fiables.

Et en cette fin de semaine, des auditeurs nous ont demandé pour quelles raisons les chiffres du cabinet Occurrence, de la manifestation parisienne de jeudi, n’ont pas été donnés à l’antenne.

La réponse est simple : cette décision vient du fait que le cortège parisien s’est scindé en deux.
Les chiffres pris en compte ne reflètent donc pas la réalité de la situation et seraient, de fait, contestables. Voici la réponse que l’on peut formuler aux auditeurs qui nous ont écrit à ce sujet.