Climat d’une fin de saison
Cette semaine tout le monde se met au vert : parti vert, voitures vertes, espaces verts, classes vertes. Le vert de la végétation est devenu celui de l’écologie et c’est la thématique dominante des messages reçus, Convention citoyenne oblige.
Au menu de cette Lettre : l’environnement, les 110km/h sur autoroute, la publicité pour les voitures, les bulletins météo, les « vacances apprenantes », la Guyane, les remerciements sensibles et chaleureux des auditeurs et leurs remarques sur l’usage de la langue française.
« Ce n'est pas une fois, ni deux, mais un nombre infini de fois, sachons-le bien, que les mêmes opinions reviennent jusqu'à nous » observe Aristote.
Il est intéressant de noter que la saison radiophonique s’achève avec les sujets qui mobilisaient déjà pleinement les auditeurs au début de celle-ci. Dix mois écoulés et des mots semblables soulignent la permanence des sujets qui fédèrent les sensibilités communes.
Septembre 2019 / juin 2020 : la teneur des messages est strictement identique et ce constat invite à la réflexion.
Quelques exemples :
Publicité pour les voitures
Septembre 2019 : « Carnets de campagne, La Terre au carré, CO2 mon amour… sur France Inter, les émissions visant à développer notre conscience écologiste ne manquent pas mais quelle hypocrisie quand on subit à longueur de journée les publicités vantant une large gamme d’automobiles. Un peu de sincérité et de cohérence s’il vous plaît »
Juin 2020 : « Comment pouvez-vous diffuser en masse ces publicités vantant les nouvelles options de voitures hautement polluantes, symbole de notre société de consommation sans conscience ni mémoire ??? Quel message souhaitez-vous transmettre là ?? N'y aurait-il pas urgence à s'opposer à ce type de communication dans le service public, qui plus est à une heure de grande écoute ? »
Bulletins météo
Septembre 2019 : « Pourriez-vous faire comprendre à vos collègues qui font les bulletins météo d’arrêter de s’extasier quand il y a du soleil et 35° et de pleurnicher quand les températures diminuent et qu’il pleut ? Face au stress hydrique, aux sécheresses, à la diminution des nappes phréatiques, aux incendies, à la perte des récoltes, leurs atermoiements quand la pluie est là n’est plus « entendable » ».
Juin 2020 : « J'ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi les chaînes de Radio France acceptent que les points météo soient l'occasion de présentations joyeuses, insouciantes de situations météorologiques qui reflètent la catastrophe climatique en cours.
Le sourire dans la voix de vos météorologues est une injure à la conscience écologique. Ces gens pourraient faire un vrai boulot d'alerte, en soulignant que les données météo sont des signaux de la dégradation du climat. Vous voyez ce que je veux dire ? »
Environnement
Septembre 2019 : « Merci Mathieu Vidard ! Une émission sur l’environnement et l’écologie qui instruit sans être alarmiste, qui propose des solutions concrètes positives et motivantes. Un souffle d’air frais qui redonne espoir dans un monde où tout semble si angoissant ».
Juin 2020 : « L'axe de la terre s'est déplacé de 10 mètres au 20ème siècle et de la chaleur sort du centre de la terre. On ne peut rien faire contre le réchauffement mais le réduire. J'aimerais que vous fassiez une chronique sur ce sujet »
La Convention citoyenne pour le climat
La Convention citoyenne pour le climat, composée de 150 Français tirés au sort, a remis dimanche ses propositions à la ministre de la transition écologique et solidaire Elisabeth Borne après neuf mois de travaux.
La Convention a transmis 149 propositions au gouvernement qui incluent la réduction de la vitesse sur les autoroutes de 130 à 110km/h pour diminuer les émissions de CO2, le renforcement du bonus-malus écologique, l’obligation de la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici à 2040, un encadrement fort de la publicité, l’interdiction de chauffer les terrasses ou encore de lourdes taxes sur l’alimentation ultra-transformée.
Ses membres souhaitent soumettre trois mesures à référendum. La Convention propose de faire voter les Français sur une modification du préambule et de l’article 1er de la Constitution pour y intégrer des objectifs de préservation de l’environnement et de la biodiversité, mais aussi de lutte contre le changement climatique, et la création d’un crime d’« écocide ».
Le chef de l’Etat, qui recevra les 150 citoyens de la Convention lundi 29 juin, avait décidé d’organiser cet exercice de démocratie participative inédit en France après la crise des « Gilets jaunes » déclenchée par l’annonce d’une taxe carbone sur les carburants.
Cette Convention suscite l’enthousiasme du photographe Yann Arthus-Bertrand qui réalise un film sur ces 150 citoyens : « Il faut imaginer que ces gens ne connaissaient pratiquement rien sur l’environnement avant de venir ici (…). Ça a changé leur vie et c’est ce qui m’intéresse dans le film. »
Invité sur Franceinfo vendredi dernier, le réalisateur a longuement évoqué la Convention : « Ils veulent mettre le mot « écologie » dans la Constitution (…). J’ai l’impression qu’on n’a jamais fait quelque chose d’aussi fort pour l’écologie en France, mieux que les partis politiques. »
Afin d’amplifier la couverture éditoriale des sujets « sciences, santé et environnement », Franceinfo met d’ailleurs en place dès la rentrée prochaine un nouveau service au sein de la rédaction : « Après la chronique quotidienne « Le billet vert » lancée en septembre 2019, nous renforçons, comme prévu, ce pôle avec plusieurs journalistes et l’actualité de ces derniers mois a évidemment appuyé ce choix » indique Jean-Philippe Baille, directeur de la rédaction de Franceinfo.
Une année extrêmement dense sur laquelle nous reviendrons demain samedi 27 juin avec Vincent Giret, directeur de Franceinfo dans le rendez-vous de la médiatrice à 11h51.
Yann Arthus-Bertrand, également président de la Fondation GoodPlanet, fondation dont la vocation est "de placer l’écologie et l’humanisme au cœur des consciences et de susciter l’envie d’agir concrètement pour la terre et ses habitants" était, quelques heures après son interview sur Franceinfo, au micro du « Téléphone Sonne » sur France Inter. Comme à chacun de ces passages sur cette antenne, les critiques des auditeurs ont fusé : « Yann Arthus-Bertrand qui vient parler d'écologie et dire aux Français les efforts qu'il faut faire pour la planète après l'avoir sillonnée en long, en large et en travers en avion et en hélico pour sortir ses livres de photos. Peu crédible. »
De son côté, interrogé par un auditeur de France Inter sur la Convention citoyenne, le sociologue Edgar Morin invité du Grand Entretien, jeudi 25 juin, est revenu sur ce processus décisionnel : « le tirage au sort est une institution démocratique qu’utilisait l’Athènes antique et que l’on peut aussi utiliser. Il me semble que dans ce cas-là, ça a été positif (…). Je suis pour compléter la démocratie parlementaire, représentative, par des démocraties participatives, par des conseils à tous les niveaux de la société, à commencer par la commune donc je pense qu’il faut combiner ces deux formes de démocratie ».
Venu évoquer son dernier livre « Changeons de voie », Edgar Morin, estime qu’ « Il faut avoir une politique qui investisse profondément, qui lie le politique, l’écologique, le social et l’économique ».
Les 149 propositions de la Convention citoyenne font-elles la synthèse de ce défi ?
110 km/h ? Péage gratuit ?
Parmi les propositions de la Convention citoyenne, la réduction de la vitesse sur autoroute de 130 à 110km/h polarise l’opinion et a provoqué l’ire des associations d’automobilistes, faisant écho à la grogne déjà déclenchée par les 80km/h.
Quid de la gratuité des autoroutes s’il s’agit de rouler à 110km/h s’interrogent des auditeurs de France Inter ? C’est l’une de leurs principales remarques :
« Les voies rapides de Bretagne à 110 km/h, qui ne sont pas des autoroutes, sont gratuites alors que les (vraies) autoroutes sont payantes ! Et là ça fait une grosse différence que vous n’évoquez pas du tout sur votre antenne ! Si la vitesse est réduite sur autoroute, qu’en sera-t-il du tarif ? »
Sur Franceinfo, ce jeudi 25 juin, Mathieu Flonneau, historien des mobilités et de l'automobile et maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a estimé que la réduction de la vitesse sur les autoroutes de 130 à 110km/h est symboliquement "un questionnement que le 80 km/h avait déjà posé, c'est ce sentiment de mépris vis-à-vis de la France au-delà même des périphéries, la France qui utilise l'autoroute". L'abaissement de la vitesse de 130 à 110 km/h permettrait "des progrès en matière de projection de gaz à effet de serre ainsi que de sécurité routière" mais "il y a aussi beaucoup de malus sur le temps perdu, et ceci a une valeur économique", analyse Mathieu Flonneau. Il juge que cette mesure "est un chiffon rouge". "Dans ce que la Convention climat a édicté, c'est celle sur laquelle on réagit le plus, car elle est très symbolique" estime le chercheur.
Un sondage Odoxa-Dentsu consulting pour Franceinfo et Le Figaro, publié ce jeudi, indique que seuls 44% des Français pensent que l'abaissement à 110 km/h de la vitesse maximale sur autoroute ferait baisser significativement la pollution, et 35% estiment que cela ferait baisser significativement le nombre de morts sur les routes.
Ce sondage met surtout un chiffre en évidence : 74 % des Français sont opposés à la réduction de la vitesse sur les autoroutes de 130 à 110km/h. Cette proposition faite par la Convention citoyenne pour le climat est rejetée par trois-quarts des Français quelle que soit l'appartenance partisane des personnes interrogées : même les sympathisants d'Europe Ecologie-Les Verts ne sont que 47 % à y être favorables.
Certains, sur l’échiquier politique, estiment que l’écologie punitive ne réconciliera pas les Français avec l’environnement. Avis d’un auditeur : « Arrêter de dire que c’est punitif… Quand le réchauffement climatique sera présent dans toute son ampleur, quand des pays seront envahis par la sécheresse, quand les réfugiés climatiques seront des milliards, quand l’humanité en crèvera on verra ce qui est vraiment punitif… »
Sur l’échiquier politique d’ailleurs « les écologistes » ne supportent plus l’abréviation familière « les écolos ». Cette apocope nous vaut régulièrement des messages. Dernier en date : « J’entends parler du parti des écologistes avec le raccourci « écolos » alors qu’on ne dit pas « socialos ». Utiliser le bon mot me semble nécessaire pour respecter la langue française et ceux qui s’investissent dans l’écologie politique ».
Enfin, toujours en lien avec les voitures et sujet à crispation pour les auditeurs : la publicité sur les antennes : « Depuis le déconfinement la pub pour les voitures sur votre antenne est infernale. Hier, après le « Téléphone Sonne » sur la Commission environnement, hop une pub pour une marque de voiture !!! A quand le nouveau monde dont vous nous parlez ? Un peu de cohérence… »
Bulletins météo
Cohérence également souhaitée dans la présentation de la météo au regard du contexte climatique. À l’approche de l’été, les bulletins météo sont, de nouveau, critiqués : « Votre animatrice météo nous dit ce matin "après un mois maussade" en parlant de la pluie qui est tombée le mois dernier.
Elle conseille aux habitants de la Loire qui vont avoir quelques nuages de "ne pas s'impatienter, vous aurez 30, voire plus." Et si je vous écris c'est parce que ce discours quotidien me choque, nous choque, nous militants écologiques, nous agriculteurs, nous simples habitants de la terre qui savent que c'est l'eau qui donne la vie. ».
La météo, sujet sensible abordée au « Téléphone Sonne », mardi 23 juin, et des auditeurs très réactifs pour évoquer le thème du jour : « Les prévisions météo, de plus en plus tôt, de plus en plus fiables ? ». Grâce à l’évolution des technologies de plus en plus performantes, les prévisionnistes sont en effet désormais capables d’anticiper les évènements météo majeurs pour les 7 prochains jours, contre 24h auparavant et cela suscite des commentaires à lire ici.
Après les bulletins, les vacances
À la veille des vacances, chacun aura évidemment les yeux rivés sur la carte des prévisions météo. Des « vacances apprenantes » pour un million d’élèves afin qu’ils comblent pendant l’été le retard accumulé depuis le début du confinement. Ce dispositif doit permettre aux enfants de partir en vacances pour « s’amuser tout en rattrapant une partie de ce qui n’a pu être fait pendant l’année scolaire » marquée par la fermeture écoles pour cause d’épidémie. Ce plan vise à lutter contre les retards et « les risques de décrochage scolaire » mais aussi à « venir en appui aux familles « alors qu’« en temps normal environ un enfant sur trois ne part pas en vacances » indique l’Education nationale.
Parmi les opérations proposées : « l’école ouverte buissonnière » qui propose un séjour en zones rurales permettant aux jeunes de découvrir un territoire différent de celui qu'ils connaissent au quotidien. Cette immersion vise à favoriser la sensibilisation au développement durable.
Les auditeurs ont écrit sur les « vacances apprenantes » et ils ont bien sûr réagi à la venue de Jean-Michel Blanquer dans la matinale de France Inter lundi matin, jour de reprise pour tous les écoliers et collégiens, à deux semaines des vacances.
« L’objectif, c’est que 100% des écoliers et collégiens » reviennent, a déclaré le ministre de l’Education nationale. « En fonction des écoles, cela représentera huit ou neuf jours de classe avant les congés estivaux. Deux semaines de cours ça compte, chaque jour, chaque heure compte ».
Réactions de parents et d’enseignants :
« Pourquoi ne précisez-vous pas que les élèves sont loin d'avoir une reprise complète de leurs cours ? En collège, ils sont en demi-groupe et viennent une demi-journée sur deux. Résultat : ils n'ont pas toutes les matières. Bref, je comprends l'importance "psychologique" mais qu'on ne parle pas d'objectif pédagogique ! »
« Comment peut-on dire que tous les élèves sont attendus ? C’est une hypocrisie totale : les établissements, le mien et tous les autres, ne sont pas capables d’accueillir : la cantine, la cour, les toilettes…rien ne peut fonctionner avec l’effectif total. »
« En cas de reprise de distanciel à la rentrée comment harmoniser le suivi et les pratiques qui passent de tout à rien en fonction des enseignants ! Certains élèves ont été suivis par leurs enseignants, d’autres pas du tout. Aucun contact possible avec les enseignants. »
« J’aurais tellement apprécié de vous voir défendre, vraiment, le corps enseignant pendant cette période difficile, plutôt qu’attiser le « prof-bashing » à chacune de vos interventions. On a beaucoup parlé des profs décrocheurs, des profs manquant de courage, des profs fainéants. »
« J’exige que M. Blanquer nous confirme que les professeurs décrocheurs seront bien sanctionnés, ces professeurs qui ne répondent pas aux mails des élèves, aux mails de leurs parents, et ces professeurs qui se sont contentés de mettre des cours en ligne ».
Les élèves ont-ils bénéficié d’un accompagnement pédagogique correct au regard des conditions imposées par le confinement ? Des enseignants se sont-ils mis au vert ? Chaque famille a un point de vue.
Tous les avis - des professeurs, des chefs d’établissement, des directeurs d’école, des parents - ont été entendus sur les antennes à travers les reportages, les témoignages, les interviews. Il semble cependant, à la lecture des messages d’auditeurs - certains verts de rage - que la séquence, mal vécue de part et d’autre, laisse des traces profondes.
Puisque les consultations sont un levier vers plus de transparence, pourquoi ne pas envisager d’en faire une auprès des familles afin de savoir ce qu’elles ont réellement pensé du suivi pédagogique de leur(s) enfant(s) ? Cela aurait le mérite d’objectiver le débat.
Chacun l’aura compris, le fil conducteur de cette Lettre est…vert. Dans ces nombreux écrits consacrés aux couleurs, Michel Pastoureau, historien, anthropologue, spécialiste mondial des couleurs et des symboles, rappelle que le vert est une couleur dont la vraie nature est l’instabilité, ce qui, somme toute, correspond assez bien à notre époque perturbée.
Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes